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l’art au point de vue sociologique.

Ce sont des « jalons dans l’absolu ; ce sont des marques de distance, là où il n’y a plus de distance ». Un point microscopique qui brille, puis un autre, puis un autre, puis un autre, « c’est l’imperceptible », et en même temps « c’est l’énorme «. Cette lumière, en effet, est un foyer, « ce foyer est une étoile, cette étoile est un soleil, ce soleil est un univers, cet univers n’est rien. Tout nombre est zéro devant l’infini. » D’autre part, lorsque « l’imperceptible étale sa grandeur », et se révèle à son tour comme contenant un monde infini, « le sens inverse de l’immensité se manifeste[1] ».

De cette contemplation de l’inconnu se dégage, dit Hugo, un phénomène sublime : ce le grandissement de l’âme par la stupeur. L’effroi sacré est propre à l’homme ; la bête ignore cette crainte. »


… Arès un long acharnement d’étude,


lorsqu’une tête humaine croit enfin s’être remplie de quelques réalités, qu’à grands frais elle croit avoir obtenu un résultat quelconque, elle se sent tout à coup « vidée par quelqu’un d’inconnu » ; à mesure que la science verse en nous quelque vérité nouvelle, le mystère infini « boit la pensée[2] ».


« Ce monde est un brouillard, presque un rêve, »
         « Tout est mêlé de tout. »

Création ! figure en deuil ! Isis austère[3] !

Enfin te rends-tu compte un peu du vaste rêve
Où ton destin commence, où ton destin s’achève.
Qu’on nomme l’univers, et qui flotte infini[4] ?


Mais cette infinité du monde qui nous déborde, qui dépasse toutes nos conceptions, n’est flottante que pour notre imagination ; en réalité, la nécessité universelle se fait sentir à nous comme une pression infinie.


Sur tes religions, dieux, enfers, paradis,
Sur ce que tu bénis, sur ce que tu maudis.
Tu sens la pression du monde formidable[5].

  1. Les Travailleurs de la mer.
  2. L’Âne.
  3. Les Contemplations (Dolor).
  4. Religions et religion (Philosophie).
  5. L’Âne, p. 138.