vous sentez vous échapper la propriété de ce que vous jugiez le plus vôtre. Parfois votre propre accent, cette chose si personnelle, vous est renvoyé comme par un écho ; ou plutôt c’est vous-même qui n’êtes que l’écho : vous avez été deviné, votre vie a été vécue avec des centaines d’autres par le poète. Un grand homme épuise, pour ainsi dire, à l’avance son siècle : ceux qui viendront après lui l’imiteront même sans le connaître, parce qu’il les contenait d’avance et les avait devinés. Sans atteindre complètement à cette universalité, Hugo, dans ses grandes œuvres, s’en rapproche. Il est fâcheux que, chez lui, tout reste si souvent à l’état confus. A force de contempler l’océan, Victor Hugo a fini par lui prendre un peu de la profusion, du tumulte et du pêle-mêk de ses flots. Aux heures d’inspiration, les mots et les vers se pressent, se heurtent, s’amoncellent — une véritable tempête ; — quoi d’étonnant à ce que les limites, le but visé soient parfois dépassés ou même disparaissent au regard ? Les vagues, pour se grossir, se mêlent, et les idées, pour se grandir, débordent l’une sur l’autre. Tous les aspects de l’océan sont d’ailleurs familiers au poète : il est certaines de ses pièces, — et ce ne sont pas les moins exquises, — qui donnent l’impression de l’immobilité miroitante et infinie de l’océan les jours de calme.
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l’art au point de vue sociologique.