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l’art au point de vue sociologique.

cesse les unes des autres. Tout le premier, Musset dira en parlant de lui-même :


Je me suis étonné de ma propre misère,
Et de ce qu’un enfant peut souffrir sans mourir[1].


Ailleurs il confessera avoir « sangloté comme une femme » . Faible, oui certes il l’est, et devant les souffrances journalières et devant l’anxiété de l’inconnu. Tiraillé entre ceux qui croient et ceux qui nient, ne pouvant trouver de motif d’absolue certitude, ni se résigner, ne fût-ce qu’un instant, à penser que l’espérance pourrait être vaine, son premier mouvement est de recourir à l’oubli, sa première pensée est de s’étourdir toujours, mais il ne le peut :


Je voudrais vivre, aimer, m’accoutumer aux hommes
.................
Et regarder le ciel sans m’en inquiéter.
Je ne puis ; — malgré moi l’infini me tourmente
Je n’y saurais songer sans crainte et sans espoir.
.................
Heureux ou malheureux, je suis né d’une femme,
Et je ne puis m’enfuir hors de l’humanité.
.................

          Le doute a désolé la terre ;
          Nous en voyons trop ou trop peu[2].


Alors il se plaint, se lamente comme un enfant qui souffre :


En se plaignant on se console[3].


Mais quand cela ne lui suffit plus, qu’il est poussé à bout, ce ne sont plus des raisons d’espérance qu’il se forge, c’est un acte de foi qu’il prononce ; il espère, non parce qu’il se croit en droit de le faire, mais parce qu’il n’est pas en son pouvoir de ne point espérer.


J’ai voulu partir et chercher
Les vestiges d’une espérance[4].

  1. Lettre à M. de Lamartine.
  2. L’Espoir en Dieu.
  3. La Nuit d’octobre.
  4. La Nuit de Décembre.