La vraie poésie est surtout dans les grands symboles philosophiques et même dans les mythes ; l’imagination poétique se confond avec l’imagination religieuse : la poésie est une religion libre et qui n’est qu’à demi dupe d’elle-même ; la religion est une poésie systématisée qui croit réellement voir ce qu’elle imagine et qui prend ses mythes pour des réalités. Lamartine ne connaît que la forme encore trop froide de l’allégorie ou de la fable.
L’aigle de la montagne un jour dit au soleil :
« Pourquoi luire plus bas que ce sommet vermeil ?
» À quoi sert d’éclairer ces prés, ces gorges sombres,
» De salir tes rayons sur l’herbe dans ces ombres ?
» La mousse imperceptible est indigne de toi…
» — Oiseau, dit le soleil, viens et monte avec moi !… »
L’aigle, vers le rayon s’élevant dans la nue,
Vit la montagne fondre et baisser à sa vue ;
Et quand il eut atteint son horizon nouveau,
À son œil confondu tout parut de niveau.
« Eh bien ! dit le soleil, tu vois, oiseau superbe,
» Si pour moi la montagne est plus haute que l’herbe.
» Rien n’est grand ni petit devant mes yeux géants :
» La goutte d’eau me peint comme les océans ;
» De tout ce qui me voit je suis l’astre et la vie ;
» Comme le cèdre altier, l’herbe me glorifie ;
» J’y chauffe la fourmi, des nuits j’y bois les pleurs,
» Mon rayon s’y parfume en traînant sur les Heurs.
» Et c’est ainsi que Dieu, qui seul est sa mesure,
» D’un œil pour tous égal voit toute la nature ».
Le mal du siècle se montre déjà dans Lamartine, mais c’est sans altérer jamais par aucune dissonance l’amplitude de ses inspirations.
Pressentiments secrets, malheur senti d’avance.
Ombre des mauvais jours qui souvent les devance !
et ailleurs :
… ce vide immense.
Et cet inexorable ennui,
Et ce néant de l’existence,
Cercle étroit qui tourne sur lui.
Byron, qui exerça sur Lamartine tant d’influence, avait concentré toutes les objections à Dieu tirées du mal dans quelques lignes de Caïn : « Abel. Pourquoi ne pries-tu pas ? — Caïn. Je n’ai rien à demander. — Et rien dont tu doives