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l’art au point de vue sociologique.

a parfois inspiré une sorte d’orgueil naïf, il n’en était pas moins juste en lui-même. Le jour où les poètes ne se considéreront plus que comme des ciseleurs de petites coupes en or faux, où on ne trouvera même pas à boire une seule pensée, la poésie n’aura plus d’elle-même que la forme et l’ombre, le corps sans l’âme : elle sera morte.

Notre poésie française, heureusement, a été dans notre siècle de plus en plus animée d’idées philosophiques, morales, sociales. Il importe de montrer cette sorte d’évolution, en ce moment de décadence poétique où l’on ne s’attache guère qu’aux jeux de la forme. Avec Lamartine, nous sommes encore plus près de la théologie que de la philosophie. C’est la religiosité vague des Racine, des Rousseau, des Chateaubriand. Avec de Vigny et Musset, nous sortons déjà des lieux communs et des prédications édifiantes. Avec Hugo, nous avons des nuages amoncelés d’où jaillissent les éclairs ; ce n’est plus la prédication, mais l’enthousiasme prophétique. Nous nous arrêterons de préférence sur Victor Hugo, celui qui a vécu le plus longtemps parmi nous, et qui a ainsi le plus longtemps représenté en sa personne le dix-neuvième siècle.