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les idées philosophiques et sociales dans la poésie.

philosophique de l’évolution universelle est voisine de cette autre idée qui fuit le fond de la poésie : vie universelle. Le firmament même n’est plus ferme et immuable, il se meut, il vit. À l’infini, dans les cieux en apparence immobiles, se passent des drames analogues au drame de la vie sur la surface de notre globe. Dans l’immense forêt des astres, dit l’astronome Janssen, on rencontre le gland qui se lève, l’arbre adulte, ou la trace noire que laisse le vieux chêne. Les étoiles ont leur âge ; les blanches et les bleues, comme Sirius, sont jeunes, en plein éclat et en pleine fusion ; les rougeâtres, Arcturus ou Antarès, sont vieilles, en train de s’éteindre, comme une forge qui du blanc passe au rouge. L’évolution est dans l’infini. En nous la montrant partout, la science ne fait que remplacer la beauté toute relative des anciennes conceptions par une beauté nouvelle, plus rapprochée de la vérité finale, de ce que les astronomes appellent le ciel absolu. Mais c’est surtout dans la philosophie qu’il y a un fond toujours poétique, précisément parce qu’il demeure toujours insaisissable à la science : le mystère éternel et universel, qui reparaît toujours à la fin, enveloppant notre petite lumière de sa nuit. La conscience de notre ignorance, qui est un des résultats de la philosophie la plus haute, sera toujours un des sentiments inspirateurs de la poésie. Ce soir, dans le silence de la nuit, j’entends une petite voix qui sort des rideaux blancs du berceau. L’enfant rêve souvent tout haut, prononce des bouts de phrase ; aujourd’hui un simple petit mot : « Pourquoi ? » Pauvre interrogation d’enfant destinée à rester à jamais sans réponse ! Il reprend son rêve, le grand silence de la nuit recommence. Nous aussi, nous disons en vain : pourquoi ? Jamais notre question ne recevra sa dernière réponse. Mais, si le mystère ne peut être complètement éclairci, il nous est pourtant impossible de ne pas nous faire une représentation du fond des choses, de ne pas nous répondre à nous-mêmes dans le silence morne de la nature. Sous sa forme abstraite, cette représentation est la métaphysique ; sous sa forme imaginative, cette représentation est la poésie, qui, jointe à la métaphysique, remplacera de plus en plus la religion. Voilà pourquoi le sentiment d’une mission sociale et religieuse de l’art a caractérisé tous les grands poètes de notre siècle ; s’il leur