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le roman psychologique et sociologique.

abstrait », de « l’homme métaphysique » l’étude de l’homme naturel, « soumis aux lois physico-chimiques et déterminé par les influences du milieu » ; le roman expérimental, en un mot, est la littérature de notre âge de science comme la littérature classique et romantique correspondait à un âge de scolastique et de théologie[1].


Il semble qu’on ait tout dit lorsqu’on a qualifié le roman de scientifique. En somme, qu’est-ce qu’il y a d’immédiatement certain dans la science ? le fait visible, tangible. Admettons que les faits assemblés par le romancier soient d’une exactitude rigoureuse — quoique en réalité voir, ce soit déjà interpréter, par conséquent transformer — il reste à tirer les conclusions, lesquelles dépendront de la nature d’esprit du romancier, de ses idées préconçues, de son génie enfin. Si, par bonheur, il est doué d’un sens droit, la mesure sera gardée ; mais il en est beaucoup que leur imagination déborde, et alors ils ont plus d’un rapport avec les romantiques tant décriés par eux. Le reproche fait aux romantiques est avant tout l’exagération : comme ils n’incarnent guère qu’une passion par personnage, ils réduisent ainsi la machine humaine à un seul rouage, et, toute la force de la sorte épargnée, ils l’emploient pour pousser à l’extrême la passion donnée. Mais les partisans à outrance du fait dominateur, les adeptes du gigantesque et du symbolique (à la façon de Zola) font-ils autre chose ? Les uns et les autres, romantiques et réalistes, dans leur élan, peuvent perdre pied ; tous, dans une même mesure, sont idéalistes, quoiqu’ils aillent en sens contraires ; idéaliser, c’est isoler et grandir une tendance existante pour la faire prédominer : tel est le but par eux tous poursuivi. Seulement les romantiques ont cela de bon qu’ils ne négligent point le côté généreux de l’homme, lequel n’est pas le moins réel ni le moins puissant ; telle œuvre romantique qui, à la lecture, a pu nous paraître un tissu d’exagérations et d’invraisemblances, le livre fermé, nous laisse malgré tout un type dans l’esprit. Ce qui manque aux romantiques, c’est moins encore le vrai que le vrai pris sur le fait. Bien autrement difficile serait d’accorder à nombre de héros réalistes la valeur de types de l’homme réel.

  1. Le Roman expérimental, pp. 18. 19, 20, 22.