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introduction

négation compatible avec la vie même, que l’esthétique, comme la morale, doit chercher ce qui ne périra pas[1]. » En second lieu, l’identité des sensations et des sentiments supérieurs, c’est-à-dire la sympathie sociale que l’art produit, doit s’étendre au groupe d’hommes le plus vaste possible. Le grand art n’est point celui qui se confine dans un petit cercle d’initiés, de gens du métier ou d’amateurs ; c’est celui qui exerce son action sur une société entière, qui renferme en soi assez de simplicité et de sincérité pour émouvoir tous les hommes intelligents, et aussi assez de profondeur pour fournir substance aux réflexions d’une élite. En un mot, le grand art se fait admirer à la fois de tout un peuple (même de plusieurs peuples), et du petit nombre d’hommes assez compétents pour y découvrir un sens plus intime. Le grand art est donc comme la grande nature : chacun y lit ce qu’il est capable d’y lire, chacun y trouve un sens plus ou moins profond, selon qu’il est capable de pénétrer plus ou moins avant ; pour ceux qui restent à la surface, il y a les grandes lignes, les grands horizons, la magie visible des couleurs et les harmonies qui emplissent l’oreille ; pour ceux qui vont plus avant et plus loin, il y a des perspectives nouvelles qui s’ouvrent, des

  1. L’Art au point de vue sociologique, page 16.