Page:Guyau - L’Art au point de vue sociologique.djvu/18

Cette page a été validée par deux contributeurs.
x
introduction

si on ne « discute » pas des goûts et des couleurs, c’est qu’on les regarde comme personnels, et cependant, il y a un moyen de les socialiser en quelque sorte, de les rendre en grande partie identiques d’individu à individu : c’est l’art. Du fond incohérent et discordant des sensations et sentiments individuels, l’art dégage un ensemble de sensations et de sentiments qui peuvent retentir chez tous à la fois ou chez un grand nombre, qui peuvent ainsi donner lieu à une association de jouissances. Et le caractère de ces jouissances, c’est qu’elles ne s’excluent plus l’une l’autre, à la façon des plaisirs égoïstes, mais sont au contraire en essentielle « solidarité ». Comme la métaphysique, comme la morale, l’art enlève donc l’individu à sa vie propre pour le faire vivre de la vie universelle, non plus seulement par la communion des idées et croyances, ou par la communion des volontés et actions, mais par la communion même des sensations et sentiments. Toute esthétique est véritablement, comme semblaient le croire les anciens, une musique, en ce sens qu’elle est une réalisation d’harmonies sensibles entre les individus, un moyen de faire vibrer les cœurs sympathiquement comme vibrent des instruments ou des voix. Aussi tout art est-il un moyen de concorde sociale, et plus profond peut-être encore que les autres ; car penser de la même manière, c’est beaucoup sans doute,