que notre vie se mêle à celle des choses, et celle des choses à la nôtre. C’est ce qui a lieu dans la réalité. Pour ma part, je ne me rappelle guère de paysage auquel je n’aie intimement mêlé mes pensées ou mes émotions, qui n’ait pris pour moi un sens, ne m’ait suggéré quelque retour sur moi-même ou sur le monde. Aujourd’hui, j’ai vu la mer d’en haut : une grande étendue grise, puis, près du rivage, une ligne d’écume blanche qui s’avançait, croissait, s’épanouissait et mourait ; je ne mesurais pas l’élévation de la vague, car, de la colline où j’étais, tout était presque de niveau ; mais je sentais son mouvement, et c’était assez pour que mon œil s’attachât à elle, la suivît amicalement dans son essor : cette petite vague faisait vivre pour mon œil la mer tout entière. Il me semblait qu’elle était moi-même. Agir, pensais-je, se mouvoir, être la goutte d’eau qui monte et blanchit, non la grande étendue morne, engourdie dans son immobilité éternelle ! Un oiseau plongeur passe : il est petit, léger, mouvant comme un regard. Il glisse sur les eaux, puis disparaît. Où donc est-il ? Son œil se fait à la lumière assourdie des profondeurs. Oh ! comme lui, plonger sous les ondes des choses, et voir l’ombre que font les êtres sur le fond éternel de la réalité, le glissement confus des flots de la vie !
« Rien de la nature ne m’est indifférent, disait Michelet. Je la hais et je l’adore comme on ferait d’une femme. » Ainsi doit être le poète. Le paysage n’est pas pour lui un simple groupement des sensations ; il leur donne une teinte morale, de manière à ce qu’un sentiment général s’en dégage. Et parfois ce sentiment est non seulement moral, mais philosophique. On a dit avec raison que l’image totale de la terre est obscurément évoquée par chaque paysage de Loti. La destinée humaine tout entière est aussi présente dans toutes les descriptions saillantes de Chateaubriand, de Victor Hugo, de Flaubert, de Zola.
Animer la nature, c’est être dans le vrai, car la vie est en tout, — la vie et aussi l’effort ; le vouloir vivre, tantôt favorisé, tantôt contrarié, apporte partout avec lui le germe du plaisir et de la souffrance, et nous pouvons avoir pitié même d’une fleur. De ma fenêtre j’aperçois un grand rosier : Petit bouton de rose blanche à demi détaché de la tige, trois filaments d’écorce t’y retiennent seuls encore. Quelques gouttes de