extérieurs de soi. La vie ne ment donc pas, et toute fiction, tout mensonge est une sorte de trouble passager apporté dans la vie, de mort partielle. Aussi, pour trouver la vie, l’écrivain et l’artiste doivent-ils avant tout être sincères, s’exprimer tout entiers eux-mêmes, ne rien retenir de leur vie intérieure, se dévouer à la foule indifférente comme on se dévouait jadis aux dieux. Cette sincérité de leur émotion doit se retrouver dans leurs œuvres, et, pour compenser ce qu’il y a d’insuffisant dans la représentation du réel, ils sont obligés, dans une juste mesure, d’augmenter l’intensité de cette représentation. C’est là, en somme, un moyen de la rendre vraisemblable. Seulement, ne confondons pas un moyen avec un but, et ne donnons pas pour but à l’art un idéal quantitatif. Ce serait le rendre malsain par un dérangement de l’équilibre naturel auquel l’art n’est déjà que trop porté de lui-même.
Dans le domaine de la qualité, l’art est partagé entre deux tendances : la première porte l’artiste vers les harmonies, les consonances, tout ce qui plaît aux yeux et aux oreilles ; la seconde le pousse à transporter dans le domaine de l’art la vie sous tous ses aspects, avec ses qualités opposées, avec tous ses heurts et toutes ses dissonances. La tâche du génie, c’est d’équilibrer ces deux tendances. Or, les points où cet équilibre se produit varient sans cesse, et c’est même ce qui fait que, sous l’impulsion du génie, l’art fait des progrès incessants. Ces progrès consistent à introduire dans l’art une quantité de vraie réalité toujours plus grande, par conséquent de vie plus intense. Sous ce rapport l’art devient de plus en plus réaliste au grand sens du mot ; c’est-à-dire que l’émotion esthétique causée par les phénomènes d’induction morale et sociale de sympathie y tient une place, toujours plus importante, à côté de l’émotion esthétique directement obtenue par la sensation ou par le sentiment élémentaire.
On s’est trop contenté jusqu’ici d’expliquer le rôle des dissonances et du laid dans l’art par la loi des contrastes, par la nécessité de sensations variées pour réveiller la sensibilité. Certes, un ciel toujours clair fatiguerait ; il faut des nuages. C’est des nuages que viennent les teintes sans nombre, les colorations infinies du ciel : sans le prisme de la nuée, que serait un coucher, un lever de soleil ? L’ombre est ainsi une amie de la lumière. Mais on a trop fait du laid et du dissonant