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la vie individuelle et sociale dans l’art.

va augmentant dans la société, à mesure qu’elle se complique et que tout cesse de s’y réduire à des relations purement animales. Le conventionnel, qui se ramène an volontaire, est un des signes distinctifs du progrès social ; le pur naturel ne se rencontre guère que dans les sociétés animales. Donc, plus un auteur veut peindre l’homme complexe de notre société, c’est-à-dire précisément l’être qui nous intéresse davantage, plus il doit se résigner à ce que cet être complexe change au bout de peu d’années et ne se reconnaisse plus dans le portrait qu’il aura fait de lui.

On peut diviser les conventions en deux espèces : 1o celles de la vie sociale elle-même ; 2o celles de l’art, qui sont souvent les conséquences mêmes de celles de la vie. Par exemple, les conventions et les abstractions sur lesquelles repose l’art classique du dix-septième siècle faisaient partie en quelque sorte des réalités de la vie d’alors. L’existence, au règne de Louis XIV, avait pris quelque chose de général, de régulier et de froid, qui fait que l’art de cette époque, comme l’a fait voir Taine, représentait encore des modèles vivants au moment même où il semble nous montrer des marionnettes. Il faut, pour comprendre cet art, se transporter à cette époque, se réadapter à ce milieu social factice, se dépouiller de son moi moderne ; tout le monde ne le fait pas volontiers. De même, la crudité d’expression qui caractérise l’art contemporain répond à un certain état social caractérisé par l’avènement des connaissances positives où chacun est si fier de ce savoir naissant, qu’il l’étale, veut le mot le plus tranchant et le plus violent, la définition précise en même temps que la vision brutale des objets[1]. Cette brutalité a sa part de convention, comme la généralité et le vague des siècles précédents. En outre, l’avènement de la démocratie et des nouvelles « couches sociales » se fait sentir dans l’art, comme dans toutes les autres manifestations de la vie sociale.

Ainsi que l’a remarqué Balzac, il existe au sein de l’humanité, comme de l’animalité même, une diversité d’espèces, l’artiste les reproduit toutes ; mais, parmi ces espèces, il en est qui sont plus ou moins susceptibles de durée, d’autres qui

  1. Le style de M. Zola et de ses adeptes, par exemple, est tout à la fois abstrait comme une analyse philosophique, et matériel comme une anatomie médicale.