Page:Guyau - Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.djvu/95

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
L’INTENSITÉ DE LA VIE, MOBILE DE L’ACTION.

il est essentiel, en effet, de déterminer d’abord jusqu’où peut aller la morale exclusivement scientifique. C’est ce que nous nous proposons de faire.

Les fins poursuivies en fait par les hommes et par tous les êtres vivants sont extrêmement multiples ; toutefois, de même que la vie offre partout des caractères communs et un même type d’organisation, il est probable que les fins recherchées par les divers individus se ramènent plus ou moins de fait à l’unité. Cette fin unique et profonde de l’action ne saurait être ni le bien, concept vague qui, lorsqu’on veut le déterminer, se résout en des hypothèses métaphysiques, ni le devoir qui n’apparaît pas non plus à la science comme un principe primitif et irréductible, ni peut-être le bonheur, dans la pleine acception du mot, que Volney a pu appeler un objet de luxe, et dont la conception, d’ailleurs, suppose un développement très avancé de l’être intelligent.

Quel sera donc le but naturel des actions humaines ? Lorsqu’un tireur s’est longtemps exercé sur une cible, et que l’on considère les trous innombrables dont il a percé le morceau de carton, on voit ces trous se répartir assez uniformément autour du blanc visé. Aucune des balles, peut-être, n’aura atteint le centre géométrique du cercle de la cible, et quelques-unes en seront fort éloignées ; néanmoins, elles seront groupées autour de ce centre suivant une loi très régulière que Quételet a déterminée : la loi du binôme. Même sans connaître cette loi, on ne se trompera pas au simple aspect des trous de balle ; on mettra le doigt au centre de l’endroit où ces trous sont le plus fréquents, et on dira : « Voilà le point de la cible qui a été visé. » Cette recherche du but visé par le tireur peut être comparée à celle qu’entreprend la science purement positive des