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MORALE DU DOUTE.

pas s’avouer. Eh bien, il reste une troisième position de l’esprit, cette fois absolument sincère avec soi et avec autrui : elle consiste à remplacer la morale de la certitude et la morale de la foi par la morale du doute, à fonder en partie la moralité sur la conscience même de notre ignorance métaphysique, jointe à tout ce que nous savons par ailleurs de science positive.

Cette situation d’esprit a été récemment analysée et proposée comme la meilleure[1]. L’auteur de l’Idée moderne du droit et de la Critique des systèmes de morale contemporains a essayé de réunir en une synthèse les résultats légitimes de la philosophie évolutionniste et de la philosophie critique. Son point de départ expérimental, qu’aucune doctrine ne peut nier, est ce fait que nous avons conscience. Ce fait, bien interprété, est selon lui le premier fondement du droit et du devoir de justice. Quel est en effet l’objet de la conscience, au sens le plus large de ce mot, et quelle en est la limite ? — Elle se pense. Pense les autres consciences, pense le monde entier ; conséquemment elle a tout ensemble « un caractère individuel et une portée universelle ; » elle ne se pose qu’en posant devant soi d’autres consciences semblables à elle-même ; elle ne se saisit qu’en société avec autrui. Par là même la conscience « comprend sa propre limitation, sa propre relativité en tant que moyen de connaissance, » car elle ne peut s’expliquer d’une manière complète « ni sa propre nature comme sujet pensant, ni la nature de l’objet qu’elle pense, ni le passage du subjectif à l’objectif. » De là le principe de la relativité des connais-

  1. Voir la Critique des systèmes de morale par M. Fouillée, Conclusion et Préface