Page:Guyau - Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.djvu/79

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
69
MORALE DE LA FOI.

la conséquence avec soi-même, celui de ne pas trancher en aveugle un problème incertain, de ne pas fermer une question ouverte, de telle sorte qu’au « devoir de croire au devoir » qu’imagine celui qui a la foi, on peut opposer le devoir de douter du devoir, qui s’impose à celui qui nie. Doute oblige, si on peut dire que foi oblige.

3° On a encore essayé de motiver la foi par la nécessité sociale, motif bien extérieur : je crois au devoir parce que sans le devoir la société ne saurait subsister. C’est le même argument dont se servent ceux qui vont à la messe parce qu’une religion est nécessaire au peuple et qu’il faut prêcher d’exemple.

Il y a au fond de la foi ainsi entendue un certain scepticisme. Tel mari, ayant des soupçons, aime mieux ne pas les approfondir, préfère la tranquillité de l’habitude à l’angoisse possible de la vérité. Ainsi en agissons-nous parfois avec la nature : nous aimons mieux nous laisser tromper par elle et la suivre ; nous lui demandons la paix morale avant la vérité. Mais la vérité s’ouvre toujours un chemin en nous ; on peut lui appliquer ce que le Christ disait de lui-même : « Je suis venu apporter la guerre dans les âmes. »

Ce demi-scepticisme de la foi appelle et justifie les objections d’un scepticisme plus complet et plus logique. Nécessité, en général, n’est pas vérité, diront les sceptiques ; une nécessité intérieure peut être une illusion nécessaire, à plus forte raison une nécessité sociale. La morale pratique peut être fondée sur un système d’erreurs utiles que la morale théorique explique et redresse. Ainsi l’optique explique mathématiquement des illusions qu’exploitent chaque jour la peinture, l’architecture et tous les arts. L’Art est en partie fondé sur l’erreur, il l’emploie comme un élé-