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MORALE DE LA FOI.

est ainsi ; elle consiste dans une solidarité de toutes choses. Ce n’est pas assez qu’une chose soit évidente, il faut qu’elle puisse être expliquée pour acquérir un caractère vraiment scientifique.

2° Quant au « devoir de croire au devoir, » c’est une pure tautologie ou un cercle vicieux. On pourrait dire aussi : il est religieux de croire à la religion, moral de croire à la morale, etc... ; soit, mais qu’entend-on par devoir, par morale, par religion ? Tout cela est-il vrai, c’est-à-dire tout cela correspond-il à une réalité ? Voilà la question, et il faut l’examiner sous peine de tourner éternellement dans le même cercle. Quand je crois que c’est ma liberté souveraine et autonome qui me commande telle ou telle action, si c’était l’instinct héréditaire, l’habitude, l’éducation, que deviendrait alors le prétendu devoir ? Ne suis-je, suivant la remarque de Darwin, qu’un chien courant qui chasse le gibier au lieu de l’arrêter ? Mon devoir, auquel j’attache tant d’importance, n’en a-t-il, toute proportion gardée, pas plus que n’en a le devoir du chien de rapporter, ou de donner la patte ? Pouvez-vous être indifférent aux analyses que la science fait de l’objet auquel s’attache votre foi ?

Peut-être la science a-t-elle de la peine à fonder pour son compte une éthique au sens strict du mot, mais elle peut détruire toute foi morale qui se croit certaine et absolue. Insuffisante parfois pour édifier, elle a une force dissolvante incalculable. Les partisans de la foi morale n’auraient même pas encore prouvé leur thèse s’ils parvenaient à démontrer que leur éthique est la plus complète, celle qui répond le mieux à toutes les interrogations de l’agent moral, celle qui a le moins à craindre des exceptions, des subtilités de la casuistique, celle qui peut pousser l’agent moral tête baissée dans les dévouements les plus absolue.