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MORALE DE LA FOI.

problème disparaît, car un problème impliquerait des solutions multiples, demandant vérification ; or on ne vérifie pas le devoir ; il est des interrogations qu’on ne doit même pas s’adresser à soi-même, il est des questions qu’il ne faut pas soulever. Que deviennent par exemple, en présence de la foi au devoir absolu, les doctrines des moralistes utilitaires, des évolutionnistes, des partisans de Darwin ? Elles sont rejetées avec toute l’énergie possible, sans même parfois être sérieusement examinées. La conscience morale se met toujours de la partie ; elle représente dans l’âme humaine le parti aveuglément conservateur. Un croyant convaincu ne voudra jamais se poser à lui-même cette question : le devoir n’est-il qu’une généralisation empirique ? Il lui semblera que ce serait là mettre en doute sa « conscience d’honnête homme ; » il déclarera d’avance la science impuissante à traiter ce problème. L’esprit scientifique, qui est toujours prêt à examiner le pour et le contre, qui voit partout un double chemin, une double issue pour la pensée, doit donc faire place pour le croyant à un tout autre esprit : pour lui, le devoir est en soi sacré et commande avec une telle force que le penseur même ne peut, en face de lui, faire autre chose qu’obéir. La foi au devoir se place donc, encore une fois, au-dessus de la région où la science se meut et où se meut la nature même ; celui qui croit au devoir est toujours tel que le chantait Horace : Impavidum ferient ruinæ. La foi morale se trouverait ainsi sauvegardée par son essence même, qui est d’obliger l’individu à s’incliner devant elle.

La foi au devoir, quand on l’attaque, cherche pourtant à s’appuyer sur divers motifs : les esprits les plus superficiels invoquent une espèce d’évidence intérieure, d’autres un devoir moral, d’autres une nécessité sociale. 1° Il y a