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CRITIQUE DE L’IDÉE DE SANCTION.

nière ressource pour justifier métaphysiquement le sentiment empirique d’indignation que produit en nons le mal sensible, lorsqu’il accompagne la bonne volonté. Seulement remarquons bien ce qu’enveloppe l’hypothèse. Il faut en venir, dans cette doctrine, à admettre sans preuve que toutes les volontés qui constituent la nature sont d’essence et de direction analogues, de manière à converger vers le même point. Si le bien que poursuit, par exemple une société de loups, était dans le fond des choses aussi différent du bien poursuivi par la société humaine qu’il semble l’être en apparence, la bonté d’un homme n’aurait rationnellement rien de respectable pour celle d’un loup, ni celle d’un loup pour un homme. Il faut donc compléter l’hypothèse précédente par cette autre, bien séduisante et bien hasardeuse, que nous avons ailleurs exprimée nous-même comme possible : « À l’évolution extérieure, dont les formes sont si variables, ne correspondrait-il pas une tendance, une aspiration intérieure éternellement la même et travaillant tous les êtres ? N’y aurait-il pas en eux une connexion de tendances et d’efforts analogue, à la connexion anatomique signalée par G. Saint-Hilaire dans les organismes[1] ? »

Selon cette doctrine, l’idée de sanction vient se fondre dans l’idée plus morale de « coopération ; » celui qui fait le bien universel travaille à une œuvre si grande qu’il a idéalement droit au concours de tous les êtres, membres du même tout, depuis la première monère jusqu’à la cendre cérébrale de l’organisme le plus élevé. Celui qui fait le mal, au contraire, devrait recevoir de tous un « refus de concours », qui serait une sorte de punition négative ; il se

  1. Voy. notre Morale anglaise contemporaine, p. 370, et M. Fouillée, la Science sociale comtemporaine, livre V.