Page:Guyau - Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.djvu/23

Cette page a été validée par deux contributeurs.
13
L’HYPOTHÈSE OPTIMISTE. — PROVIDENCE.

retomber sur la terre, pensant qu’il restait en moi trop d’humanité pour que je pusse vivre au ciel.

Si l’optimisme, au lieu de considérer le monde comme actuellement bon, tente d’y rétablir la notion d’un progrès continu et réglé par une loi divine, réussira-t-il mieux à absoudre le monde et à fonder la moralité humaine ? Nous ne le croyons pas.

Si on suppose avec les optimistes un but lointain qui serait le même pour tous les êtres, les moyens d’y arriver peuvent être si opposés, que le moraliste sera impuissant à déduire de la connaissance du but une règle pratique de conduite : tous les chemins mènent à Rome ; peut-être aussi une foule de chemins mènent-ils au but universel, et l’injustice peut-elle servir comme la justice. La lutte est parfois, pour l’humanité même, un moyen d’avancer aussi sûr que l’union, et on ne voit pas pourquoi, à un point de vue universellement optimiste, la bonne volonté humaine serait plus conforme aux fins cachées de la nature ou de Dieu que la mauvaise volonté. Même toute volonté consciente est souvent inutile, et le bien semble pouvoir, au moins en partie, se réaliser sans l’intervention de l’homme. Un rocher sur lequel vient se fendre le front d’un enfant peut servir plus que cet enfant à l’avenir du globe, puisqu’il concentre en lui depuis des milliers d’années une parcelle de la chaleur solaire et travaille, selon sa mesure, à ralentir le refroidissement terrestre. La morale du dogmatisme optimiste nous ordonne de contribuer au bien du tout ; mais il y a pour cela trop de voies possibles. Tout peut être utile. Le professeur de gymnastique qui, dans la même chambre, réunissait la figure de Jésus-Christ et son propre portrait, croyait faire autant que Jésus pour l’humanité. Il n’avait peut-être pas tort au regard