Page:Guyau - Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
209
DU SENTIMENT DE LA HAINE.

ment, dans le milieu en partie artificiel de la société humaine, cet instinct se modifie peu à peu, de telle sorte qu’un jour la notion de justice distributive y perdra même l’appui pratique que lui prête encore aujourd’hui le sentiment populaire.

Suivons en effet la marche de la sanction pénale avec l’évolution des sociétés. À l’origine, le châtiment était beaucoup plus fort que la faute, la défense dépassait l’attaque. Irritez une bête féroce, elle vous déchirera ; attaquez un homme du monde, il vous répondra par un trait d’esprit ; injuriez un philosophe, il ne vous répondra rien. C’est la loi d’économie de la force qui produit cet adoucissement croissant de la sanction pénale. L’animal est un ressort grossièrement réglé dont la détente n’est pas toujours proportionnée à la force qui la provoque ; de même l’homme primitif, et aussi la pénalité des premiers peuples. Pour se défendre contre un agresseur, on l’écrasait. Plus tard, on s’aperçoit qu’il n’y a pas besoin d’avoir la main si lourde : on tâche de proportionner exactement la réaction réflexe à l’attaque ; c’est la période résumée dans le pré-

    tuteur inflexible, je lui remontrais chaque fois l’horreur de sa conduite, le transportais vivement dans la cour et le mettais debout dans un coin. Après une attente qui variait suivant l’importance du délit, je le faisais revenir. Cette éducation lui fit comprendre assez rapidement certains articles du code de la civilité… canine, au point que je pus croire qu’il s’était enfin corrigé de son penchant à l’oubli des convenances. Ô déception ! un jour, entrant dans une chambre, je me trouve en face d’un nouveau méfait. Je cherche mon chien pour lui faire sentir toute l’indignité de sa rechute ; il n’est pas là. Je l’appelle, il ne vient pas. Je descends à la cour… il y était, debout, dans le coin, les pattes de devant tombant piteusement sur sa poitrine, l’air contrit, bon teux et repentant. Je fus désarmé. » J. Delbœuf, Revue philosophique, avril 1881. Voir aussi dans Romanes des faits plus ou moins analogues.