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CRITIQUE DE L’IDÉE DE SANCTION.

sorte d’exhortation personnelle au mal, murmurée à son oreille et contre laquelle ses plus hauts instincts se révoltent. Cela tient à ce que le bon sens populaire fait toujours entrer la sanction dans la formule même de la loi et regarde la récompense ou le châtiment comme des mobiles. La loi humaine a le double caractère d’être utilitaire et nécessitaire : ce qui est exactement l’opposé d’une loi morale commandant sans mobile à une volonté libre.

Il existe une troisième raison plus profonde encore de l’indignation contre l’impunité : l’intelligence humaine a peine à rester sur l’idée de mal moral ; elle en est révoltée à un bien plus haut degré qu’elle ne peut l’être par un manque de symétrie matérielle ou d’exactitude mathématique. L’homme, étant essentiellement un animal sociable, ζὼον πολιϰτιὸν, ne peut pas se résigner au succès définitif d’actes antisociaux ; là où il semble que de tels actes ont humainement réussi, la nature même de son esprit le porte à se tourner vers le surhumain pour demander réparation et compensation. Si les abeilles, enchaînées tout à coup, voyaient l’ordre de leurs cellules détruit sous leurs yeux, sans avoir l’espérance d’y porter jamais remède, leur être tout entier serait bouleversé, et elles s’attendraient instinctivement à une intervention quelconque, rétablissant un ordre aussi immuable et sacré pour elles que peut l’être celui des astres pour une intelligence plus large. L’esprit même de l’homme se trouve pénétré par l’idée de sociabilité ; nous pensons pour ainsi dire sous la catégorie de la société comme sous celle du temps et de l’espace.

L’homme, par sa nature morale (telle que la lui a fournie l’hérédité), est ainsi porté à croire que le dernier mot ne