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BESOIN PSYCHOLOGIQUE D’UNE SANCTION ; SA GENÈSE.


Maintenant, du point de vue théorique pur où nous nous sommes placé jusqu’ici, il nous faut descendre dans la sphère plus trouble des sentiments et des associations d’idées, où nos adversaires pourraient reprendre l’avantage. La majorité de l’espèce humaine ne partage nullement les idées des Hindous et de tout vrai philosophe sur la justice absolue identique à la charité universelle : elle a de fortes préventions contre la tigresse affamée pour laquelle se dévoua Bouddha, elle a des préférences naturelles à l’endroit des brebis. Il ne lui paraît pas satisfaisant que la faute reste impunie et la vertu toute gratuite. L’homme est comme ces enfants qui n’aiment pas les histoires où les bons petits garçons sont mangés par les loups, et qui voudraient au contraire voir les loups mangés. Même au théâtre, on exige généralement que la vertu soit récompensée, le vice puni, et, s’ils ne le sont pas, le spectateur s’en va mécontent, avec le sentiment d’une attente trompée. Pourquoi ce sentiment tenace, ce besoin persistant d’une sanction chez l’être sociable, cette impossibilité psychologique de rester sur l’idée du mal impuni ?

C’est, en premier lieu, que l’homme est un être essentiellement pratique et actif, qui tend à tirer de tout ce qu’il voit une règle d’action, et pour qui la vie d’autrui est une perpétuelle morale en exemples ; avec le merveilleux instinct social que possède l’homme, il seul aussitôt qu’un crime impuni est un élément de destruction sociale, il a le pressentiment d’un danger pour lui-même et pour tous les autres ensemble : tel un citadin enfermé dans une ville assiégée et qui découvre une brèche ouverte.

En second lieu, ce mauvais exemple est comme une