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DERNIERS ÉQUIVALENTS POSSIBLES DU DEVOIR.

mêmes que des formules de sentiments, et le sentiment correspond à la tension plus ou moins grande de l’activité intérieure. Il y a un milieu entre le doute et la foi, entre l’incertitude et l’affirmation catégorique, c’est l’action ; par elle seule, l’incertain peut se réaliser et devenir une réalité. Je ne vous demande pas de croire aveuglément à un idéal, je vous demande de travailler à le réaliser. — Sans y croire ? — Afin d’y croire. Yous le croirez quand vous aurez travaillé à le produire.

Toutes les vieilles religions ont voulu nous faire croire par les yeux et les oreilles. Elles nous ont montré Dieu en chair et en os, et les saint Thomas l’ont touché du doigt, et ils ont été convaincus. À présent, nous ne pouvons plus être convaincus de cette fayon. Nous verrions, et nous entendrions, et nous toucherions du doigt, que nous nierions encore obstinément. On n’est pas persuadé d’une chose impossible, parce qu’on croit la voir ou la toucher : notre raison est maintenant assez forte pour se moquer au besoin de nos yeux, et les miracles ne pourraient plus convaincre personne. Il faut donc un nouveau moyen de persuasion, que les religions mêmes avaient déjà employé à leur profit ; ce moyen, c’est l’action : vous croirez en proportion de ce que vous ferez. Seulement, l’action ne doit pas consister dans des pratiques extérieures et dans des rites grossiers ; elle doit être tout intérieure en sa source ; notre foi alors viendra vraiment du dedans, non du dehors : elle aura pour symbole non la routine d’un rite, mais la variété infinie de l’invention, de l’œuvre individuelle et spontanée.

L’humanité a attendu longtemps que Dieu lui apparaisse, et il lui est apparu, et ce n’était pas Dieu. Le moment de l’attente est passé ; maintenant, c’est celui du travail. Si