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DERNIERS ÉQUIVALENTS POSSIBLES DU DEVOIR.

morale peut acquérir dans certains cas, il faut songer que l’homme est un animal pensant, ou, comme nous l’avons dit ailleurs, un animal philosophique. La morale positive ne peut pas tenir compte des hypothèses métaphysiques que l’homme se plaît à faire sur le fond des choses. D’ailleurs, une morale exclusivement scientifique ne peut donner une solution définitive et complète du problème de l’obligation morale. Il faut toujours dépasser la pure expérience. Les vibrations lumineuses de l’éther se transmettent de Sirius jusqu’à mon œil, voilà un fait ; mais faut-il ouvrir mon œil pour les recevoir ou faut-il le fermer ? — on ne peut pas à cet égard tirer une loi des vibrations mêmes de la lumière. De même, ma conscience arrive à concevoir autrui, mais faut-il m’ouvrir tout entier à autrui, faut-il me fermer à moitié, — c’est là un problème dont la solution pratique dépendra de l’hypothèse personnelle que j’aurai faite sur l’univers et sur mon rapport avec les autres êtres... Seulement, ces hypothèses doivent rester absolument libres et personnelles, et il est impossible de les systématiser en une doctrine métaphysique qui s’imposerait universellement à la raison humaine. Nous allons voir comment, grâce à la force de l’hypothèse individuelle, il n’est pas de sacrifice absolu qui ne puisse devenir non seulement possible, mais presque facile en certains cas.

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