paraître digne d’être conservée par la renonciation à ce dernier vestige d’idéal.
Si, dans aucune doctrine, le sentiment moral ne peut, à lui seul, donner à la sensibilité le vrai bonheur positif, il est cependant capable de rendre le bonheur impossible en dehors de lui, et cela suffit pratiquement. Pour les êtres qui sont parvenus à un certain degré de l’évolution morale, le bonheur n’est plus désirable en dehors de leur idéal même.
Le sentiment moral vaut donc encore plus par sa
puissance destructive que par sa puissance créatrice. On
pourrait le comparer à un grand amour qui éteint toutes les
autres passions ; sans cet amour la vie nous est
intolérable et impossible ; d’autre part, nous savons qu’il ne sera
pas payé de retour, qu’il ne peut pas et ne doit pas l’être.
On plaint d’habitude ceux qui ont au cœur de tels amours,
des amours sans espoir, que rien ne peut rassasier ; et
pourtant nous en nourrissons tous un aussi puissant pour
notre idéal moral, dont nous ne pouvons rationnellement
attendre aucune sanction. Cet amour semblera toujours vain
au point de vue utilitaire, puisqu’il ne doit point compter
sur une satisfaction, sur une récompense ; mais, d’un point
de vue plus élevé, ces satisfactions et ces prétendues
récompenses peuvent apparaître à leur tour comme une vanité.
En résumé, la valeur de la vie est une chose tout à fait variable et qui parfois peut se réduire à zéro, à moins de zéro. L’action morale, au contraire, a toujours un certain prix ; il est rare qu’un être soit descendu assez bas pour accomplir, par exemple, un acte de lâcheté avec la plus parfaite indifférence, ou même avec plaisir.
Maintenant, pour se faire une idée du prix que l’action