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FÉCONDITÉ DE LA VOLONTÉ.

En somme, la vie a deux faces : par l’une elle est nutrition et assimilation, par l’autre production et fécondité. Plus elle acquiert, plus il faut qu’elle dépense : c’est sa loi. La dépense n’est pas physiologiquement un mal, c’est l’un des termes de la vie. C’est l’expiration suivant l’inspiration.

Donc la dépense pour autrui qu’exige la vie sociale n’est pas, tout compte fait, une perte pour l’individu ; c’est un agrandissement souhaitable, et même une nécessité. L’homme veut devenir un être social et moral, il reste toujours tourmenté par cette idée. Les cellules délicates de son cerveau et de son cœur aspirent à vivre et à se développer, de la même façon que ces « homunculi » dont parle quelque part M. Renan : chacun de nous sent en lui une sorte de poussée de la vie morale, comme de la sève physique. Vie, c’est fécondité, et réciproquement la fécondité, c’est la vie à pleins bords, c’est la véritable existence. Il y a une certaine générosité inséparable de l’existence, et sans laquelle on meurt, on se dessèche intérieurement. Il faut fleurir ; la moralité, le désintéressement, c’est la fleur de la vie humaine.

On a toujours représenté la Charité sous les traits d’une mère qui tend à des enfants son sein gonflé de lait ; c’est qu’en effet la charité ne fait qu’un avec la fécondité débordante : elle est comme une maternité trop large pour s’arrêter à la famille. Le sein de la mère a besoin de bouches avides qui l’épuisent ; le cœur de l’être vraiment humain a aussi besoin de se faire doux et secourable pour tous : il y a chez le bienfaiteur même un appel intérieur vers ceux qui souffrent.

Nous avons constaté, jusque dans la vie de la cellule aveugle, un principe d’expansion qui fait que l’individu ne