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FÉCONDITÉ DE L’INTELLIGENCE ET DE LA SENSIBILITÉ.

besoin général de fécondité : or, ce besoin, symptôme d’un surplus de force, n’agit pas seulement sur les organes spéciaux de la génération, il agit sur l’organisme tout entier ; il exerce du haut en bas de l’être une sorte de pression dont nous allons énumérer les diverses formes.

Fécondité intellectuelle. — Ce n’est pas sans raison qu’on a comparé les œuvres du penseur à ses enfants. Une force intérieure contraint aussi l’artiste à se projeter au dehors, à nous donner ses entrailles, comme le pélican de Musset.

Ajoutons que cette fécondité est quelque peu en opposition avec la génération physique : l’organisme ne peut accomplir sans souffrance cette double dépense. Aussi, dans les espèces animales, la fécondité physique semble-t-elle décroître avecle développement du cerveau. Les très grands génies n’ont eu généralement que des enfants au-dessous de la moyenne, dont la race s’est vite éteinte. Sans doute, par leurs idées, ces génies vivent encore aujourd’hui dans le cerveau de la race humaine, mais leur sang n’a pu se mêler au sien.

La fécondité intellectuelle peut comporter, elle aussi, une sorte de débauche : on peut abuser de son cerveau. Le jeune homme s’use parfois pour toute sa vie par l’excès prématuré de travail intellectuel. La jeune fille américaine peut compromettre de la même manière sa maternité future ou le sort de la génération qui naîtra d’elle. C’est à la morale de restreindre ici comme ailleurs l’instinct de productivité. En règle générale, la dépense ne doit être qu’une excitation de la vie, et non un épuisement.

Quoi qu’il en soit, le besoin de la fécondité intellectuelle, plus encore que la fécondité sexuelle, modifie profondé-