Page:Guyau - Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction.djvu/106

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
96
DU MOBILE MORAL AU POINT DE VUE SCIENTIFIQUE.

mystérieux : le tissu musculaire et le tissu nerveux résultent pour une large part de ces fusions cellulaires. Néanmoins, avec la génération sexuée ou amphigonie commence, on peut le dire, une nouvelle phase morale pour le monde. L’organisme individuel cesse d’être isolé ; son centre de gravité se déplace par degrés, et il va se déplacer de plus en plus.

La sexualité a une importance capitale dans la vie morale : si par impossible la génération asexuée avait prévalu dans les espèces animales et finalement dans l’humanité, la société existerait à peine. On l’a remarqué depuis longtemps, les vieilles filles, les vieux garçons, les eunuques, sont d’habitude plus égoïstes : leur centre est toujours resté au plus profond d’eux-mêmes, sans osciller jamais. Les enfants aussi sont égoïstes : ils n’ont pas encore un surplus de vie à déverser au dehors. C’est vers l’époque de la puberté que leurs caractères se transforment : le jeune homme a tous les enthousiasmes, il est prêt à tous les sacrifices, parce qu’en effet il faut qu’il sacrifie quelque chose de lui, qu’il se diminue dans une certaine mesure : il vit trop pour ne vivre que pour lui-même. L’époque de la génération est aussi celle de la générosité. Le vieillard, au contraire, est souvent porté à redevenir égoïste. Les malades ont les mêmes tendances ; toutes les fois que la source de vie est diminuée, il se produit dans l’être entier un besoin d’épargner, de se garder pour soi : on hésite à laisser filtrer au dehors une goutte de la sève intérieure.

La génération a pour premier effet de produire un groupement des organismes, de créer la famille et par là la société ; mais ce n’est qu’un de ses effets les plus visibles et les plus grossiers. L’instinct sexuel, nous venons de le voir, est une forme supérieure, mais particulière, du