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L’INTENSITÉ DE LA VIE, MOBILE DE L’ACTION.

phénomènes conscients, laissant de côté l’étude du pur mécanisme ; de même la morale classique. Mais elles supposaient démontré que le mécanisme n’agit pas sur la région consciente de l’esprit, n’y provoque pas des perturbations parfois plus ou moins inexplicables : supposer ainsi démontrée l’indépendance du conscient par rapport à l’inconscient, c’était commencer par un postulat que rien n’autorise. Nous croyons que, pour éviter ce postulat, la morale scientifique doit chercher un ressort d’action qui puisse jouer à la fois dans les deux sphères et mouvoir tout ensemble en nous l’automate et l’être sensible. L’objet de la science des mœurs est de constater comment l’action, produite par l’effort seul de la vie, sort sans cesse du fond inconscient de l’être pour entrer dans le domaine de la conscience ; comment ensuite l’action peut se trouver réfractée dans ce milieu nouveau, souvent même suspendue ; par exemple, quand il y a lutte entre l’instinct de la vie et telle ou telle croyance d’ordre rationnel. Dans ce cas, la sphère de la conscience peut fournir une source nouvelle d’actions qui, à leur tour, redeviennent des principes d’habitudes ou d’instincts, et rentrent ainsi dans le fond inconscient de l’être pour y subir des altérations sans nombre. L’instinct dévie en devenant conscience et pensée, la pensée dévie en devenant action et germe d’instinct. La science morale doit tenir compte de toutes ces déviations. Elle cherche le lieu de rencontre où viennent se toucher et où se transforment sans cesse l’une dans l’autre les deux grandes forces de l’être, instinct et raison ; elle doit étudier l’action de ces deux forces l’une sur l’autre, régler la double influence de l’instinct sur la pensée, de la pensée et du cerveau sur les actes instinctifs ou réflexes.

Nous verrons comment la vie peut donner lieu, en deve-