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L’HÉRÉDITÉ ET L’ÉDUCATION.

bien définir. Les adversaires de l’hérédité, à en croire M. Ribot, ont eu grand tort d’expliquer par une cause extérieure, par l’éducation, ce qui est dû à une cause intérieure, le caractère : « Leur polémique en effet a bien souvent consisté à poser ce dilemme, décisif à leurs yeux : Ou bien les enfants ne ressemblent pas aux parents, et alors où est la loi d’hérédité ? ou bien les enfants ressemblent moralement à leurs parents, et alors pourquoi en chercher une autre cause que l’éducation ? N’est-il pas bien naturel qu’un peintre ou un musicien apprenne son art à son fils ? qu’un voleur dresse ses enfants au vol ? qu’un enfant né dans la débauche se ressente de son milieu ? » — À notre avis, si le dilemme dont parle M. Ribot ne démontre pas l’influence de l’éducation, il démontre du moins que l’influence de l’hérédité, en une foule de cas, n’est pas elle-même démontrable, et qu’il est le plus souvent impossible de faire le partage entre les deux influences.

Gall, nous le reconnaissons, a bien montré que les facultés qui se trouvent chez tous les individus de la même espèce existent chez ces divers individus à des degrés très différents, et que cette variété d’aptitudes, de penchants, de caractères, est un fait général commun à toutes les classes d’êtres, indépendant de l’éducation ; mais, selon nous, l’existence de variétés naturelles n’empêche nullement celle de variétés acquises. Parmi les animaux domestiques, les chiens épagneuls ou braques sont loin démontrer tous la même finesse de nez, le même art de poursuite, la même sûreté d’arrêt ; les chiens de berger sont loin d’être doués tous du même instinct ; les chevaux d’une même race de course diffèrent en vitesse, ceux de même race de trait diflerent en vigueur. De même pour les animaux sauvages. Les oiseaux chanteurs ont tous naturellement le chant de leur espèce ; mais l’art, le timbre, la portée, le charme de la voix varient de l’un à l’autre. — Soit : mais on a montré aussi que les oiseaux chanteurs peuvent apprendre à mieux chanter, comme les chevaux de race à mieux courir.

Chez l’homme, M. Ribot croit que quelques exemples bien choisis suffisent pour montrer le rôle de l’innéité (qui n’est souvent que l’hérédité), et pour couper court à toutes les explications incomplètes tirées de l’influence de l’éducation. On se rappelle comment d’Alembert. enfant trouvé, élevé par la veuve d’un pauvre vitrier, sans ressources,