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L’ÉDUCATION MORALE.

On sait comment le climat, l’air, la configuration du sol, le régime, la nature des aliments et des boissons, tout ce que la physiologie comprend sous les termes techniques de circumfusa, ingesta, etc., façonnent l’organisme humain par leur incessante action ; comment ces sensations latentes et sourdes qui n’arrivent pas jusqu’à la conscience, mais qui pénètrent incessamment en nous, forment à la longue « ce mode habituel de la constitution qu’on nomme le tempérament ». L’influence de l’éducation, selon M. Ribot, est analogue ; elle consiste en un milieu moral, et elle aboutit à créer une habitude. M. Ribot remarque même que ce milieu moral est aussi complexe, aussi hétérogène et changeant qu’aucun milieu physique. « Car l’éducation, dit-il, dans son sens exact et complet, ne consiste pas seulement dans les leçons de nos parents et de nos maîtres : les mœurs, les croyances religieuses, les lettres, les conversations entendues ou surprises, sont autant d’influences muettes qui agissent sur l’esprit comme les perceptions latentes sur le corps et contribuent à notre éducation, c’est-à-dire à nous faire contracter des habitudes ». Malgré cela, M. Ribot s’attache à restreindre l’influence de l’éducation et à revendiquer contre elle les droits de l’innéité, car, dit-il, « la cause de l’innéité est la nôtre ». « Que certaines qualités psychiques, ajoute-t-il, viennent d’une variation spontanée ou d’une transmission héréditaire, pour le moment il n’importe ; ce qu’il nous faut montrer, c’est qu’elles préexistent à l’éducation, qui les transforme quelquefois, mais ne les crée jamais ».

Pourquoi, demanderons-nous à M. Ribot, l’éducation ne pourrait-elle créer certaines qualités psychiques ? Ce mot créer ne peut pas plus se prendre en un sens absolu pour l’hérédité que pour l’éducation. L’hérédité ne crée pas à proprement parler : elle fixe et accumule certaines qualités, qui, souvent, ont été acquises elles-mêmes par cette éducation au sens large, que M. Ribot vient de si

    sans la rencontre singulière qu’en fit un Européen. Un naturaliste prussien, parent du célèbre Humboldt, résolut de faire l’ascension du Marivelès (montagne située non loin de Manille). Il avait presque atteint le sommet du pic, lorsqu’il se vit soudain devant une nuée de petits noirs. Le Prussien s’apprêtait à esquisser quelques portraits, lorsqu’un des sauvages, s’approchant de lui en souriant, lui demanda en langue anglaise, s’il connaissait à Manille un Américain du nom de Graham. C’était notre Pédrito. Il raconta toute son histoire, et lorsqu’il l’eût terminée, ce fut en vain que le naturaliste tenta de le décider à revenir avec lui à Manille. Voir Revue des Deux-Mondes, 15 juin 1869.