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L’ÉDUCATION MORALE.

ils couvrent leurs familles, pour la douleur de leurs parents[1] ».

Ainsi l’instinct moral, au lieu d’être cette faculté immuable en son principe que nous représentent certaines écoles, est un produit complexe de l’évolution, sujet par cela même à la dissolution, à la décadence comme au perfectionnement. L’éducateur doit avoir devant l’esprit ce caractère à la fois si élevé, mais jusqu’à un certain point instable, du sens moral. Non seulement les individus, mais les races entières se moralisent ou se démoralisent. Et comme la moralité est pour elles une condition de progrès, d’existence même, elles montent ou descendent dans la vie, elles sont victorieuses ou vaincues dans le combat pour l’existence selon qu’elles ont enricbi ou appauvri leur trésor de moralité héréditaire.

La moralité de la race est donc, avec sasanté et savigueur, l’objet capital de l’éducation. Tout le reste ne vient qu’en second lieu. Les qualités intellectuelles, par exemple et surtout les connaissances, le savoir, l’instrucfion, ont beaucoup moins d’importance pour la race que sa vigueur morale et sa vigueur pbysique. Aussi l’éducateur ne doit-il jamais intervertir la hiérarchie des qualités nécessaires aux races : qu’il ne l’oublie pas, ce qui a fait la force et la vitalité des religions, c’est qu’elles ont moralisé les peuples, et, plus leur influence décline, plus il faut la remplacer par tous les autres moyens de moralisation.



V. — PART DE L’HÉRÉDITÉ ET DE l’ÉDUCATION DANS LE SENS MORAL.


Le sens moral est, avons-nous dit, un produit supérieur de l’éducation, au sens le plus large de ce mot, qui embrasse toute l’action du milieu physique et social. Nous ne voulons pas dire par là que la moralité soit artificielle ; nous voulons dire seulement que c’est une seconde nature ajoutée à la nature primitivement animale par l’action et la réaction de nos facultés et du milieu. L’homme, nous l’avons vu, s’est fait à lui-même sa loi morale par les pouvoirs supérieurs qu’il a peu à peu acquis au cours de

  1. M. Garofalo, Revue philosophique de mars 1887, p. 234.