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L’ÉDUCATION MORALE.

elles ne sont pas toujours assez présentes, et peuvent céder momentanément toute la place aux tendances opposées. Chez ces individus, la conscience est unilatérale, impuissante à se représenter deux directions contraires de l’action, à susciter en elle-même ces états antagonistes dont la présence caractérise les consciences supérieures. Dans ce cas, le sentiment vif de l’obligation disparaît au moment de l’acte, mais ne tarde pas à reparaître ensuite, une fois l’acte accompli et une fois abolie la tendance qui a produit cet acle. C’est ainsi que, chez le même individu, on peut voir se succéder des états d’immoralité absolue et, quelques heures après, des remords très vifs, très sincères, mais toujours stériles. C’est qu’un tel individu, doué d’un tempérament impulsif, est incapable, au moment de l’impulsion mauvaise, d’évoquer l’impulsion contraire avec assez de force pour paralyser partiellement la première. Les états de conscience antagonistes se réalisent chez lui successivement, au lieu de se réaliser simultanément ; ce n’est pas un monstre, mais un impuissant au point de vue moral : sa volonté a subi une altération analogue à celle qui se produit chez les malades frappé d’ « aboulie ». Ceux-ci sont impuissants à passer de la conception de l’acte à son exécution : ils désirent sortir, ils désirent se promener, et en sont incapables ; le désir n’a pas chez eux la force déterminante nécessaire à l’action. Chez les individus atteints en quelque sorte d’aboulie morale, ce n’est pas la puissance d’exécution qui manque, c’est la puissance de se représenter simultanément et d’une manière complète les motifs ou les mobiles de l’action. Dans les pesées de la balance intérieure, il y a toujours un certain nombre de poids oubliés, et c’est seulement quand le fléau a penché que ces poids se retrouvent.


3o Folie morale, c’est-à-dire intervention d’impulsions onormales (comme celles qui poussent certains enfants à détruire pour détruire, à faire du mal pour faire du mal, à des actes d’impudeur, à manger leurs excréments, etc.), Ces impulsions anormales plus ou moins irrésistibles peuvent coexister avec les impulsions normales et avec le regret de l’action commise. Un dipsomane n’est pas un ivrogne, un kleptomane n’est pas un voleur, ni un pyromane un incendiaire, ni un impulsif au meurtre un assassin véritable ; les premiers protestent tout le temps