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POUVOIR ENGENDRANT DEVOIR.

3o Idée-force. Le sentiment moral, groupant autour de lui un nombre croissant de sentiments et d’idées, devient non seulement un centre d’émotion, mais un objet de conscience réfléchie. L’obligation naît alors : c’est une sorte d’obsession raisonnée, une obsession que la réflexion fortifie au lieu de dissoudre. Prendre la conscience de devoirs moraux, c’est prendre la conscience de pouvoirs intérieurs et supérieurs qui se développent en nous et nous poussent à agir, d’idées qui tendent à se réaliser par leur force propre, de sentiments qui, par leur évolution même, tendent à se socialiser, à s’imprégner de toute la sensibilité présente dans l’humanité et dans l’univers.

L’obligation morale, en un mot, est la double conscience : 1o de la puissance et de la fécondité d’idées-forces supérieures, se rapprochant par leur objet de l’universel ; 2o de la résistance des penchants contraires et égoïstes. La tendance de la vie au maximum d’intensité et d’expansion est la volonté élémentaire ; les phénomènes d’impulsion irrésistible, de simple obsession durable, enfin d’obligation morale, sont le résultat des conflits ou des harmonies de cette volonté élémentaire avec tous les autres penchants de l’âme humaine. La solution de ces conflits n’est autre chose que la recherche et la reconnaissance du penchant normal qui renferme en nous le plus d’auxiliaires, qui s’est associé au plus grand nombre de nos autres tendances durables, et qui nous enveloppe ainsi des liens les plus serrés. En d’autres termes, c’est la recherche du penchant le plus complexe et le plus persistant tout ensemble. Or, ces caractères appartiennent au penchant vers l’universel. L’action morale est donc comme le son qui éveille en nous le plus d’harmoniques, les vibrations les plus durables en même temps que les plus riches.

La conscience de la force impulsive qui appartient aux motifs supérieurs ne s’affirme pleinement, remarquons-le bien, que quand on y a désobéi une fois. Les instincts moraux reparaissent en effet après l’action, plus forts de la résistance même qu’ils ont momentanément éprouvée. Ainsi se produit le sentiment du remords. Ce sentiment n’implique pas la notion d’une liberté absolue ; il suppose la conscience du déterminisme qui lie notre état présent à notre état passé. Si nous avions le sentiment assez vif d’une liberté absolue, si nous croyions pouvoir nous renouveler complètement nous-mêmes par un seul acte de volonté, si nous n’avions pas la crainte vague que, dans