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L’ÉDUCATION MORALE.

autres nous aimaient et comme si nous les aimions réellement. Cette idée par laquelle l’égoïsme se transforme en altruisme, est semblable à la force qui, dans une locomotive, renverse la vapeur et fait aller la machine dans une direction opposée.

L’éducation consiste à favoriser cette expansion vers autrui, au lieu des forces de gravitation sur soi. Elle apprend à trouver sa joie dans celle des autres, à faire ainsi un choix entre ses plaisirs ; à préférer les jouissances, les plus élevées et les plus impersonnelles, par cela même celles qui enveloppent le plus de durée et comme d’éternité.



Les analyses précédentes aboutissent à cette conclusion, qu’être moral c’est, en premier lieu, sentir la force de sa volonté et la multiplicité des puissances qu’on porte en soi ; en second lieu, concevoir la supériorité des possibles ayant pour objet l’universel sur ceux qui n’ont que des objets particuliers. La révélation du devoir est à la fois la révélation d’un pouvoir qui est en nous et d’une possibilité qui s’étend au plus grand groupe d’êtres sur lesquels nous ayons action. Il y a quelque chose d’infini perçu à travers les limites que l’obligation particulière nous impose ; et cet infini n’a rien de mystique. Dans le devoir nous sentons, nous éprouvons, comme dirait Spinoza, que notre personnalité peut se développer toujours davantage, que nous sommes nous-mêmes infinis pour nous, que notre objet d’activité le plus sûr est l’universel. Le sentiment d’obligation ne s’attache pas à un penchant isolé proportionnellement à sa seule intensité ; il est proportionnel à la généralité, à la force d’expansion et d’association d’un penchant. C’est pour cela que le caractère obligatoire des tendances essentielles à la nature humaine croit à mesure qu’on s’éloigne de la pure nécessité inhérente aux fonctions grossières du corps.

Nous avons donc marqué, en résumé, les trois stades suivants dans le développement de l’instinct moral :

1o Impulsion mécanique, ne faisant qu’apparaître momentanément dans la conscience pour s’y traduire en penchants aveugles et en sentiments irraisonnés ;

2o Impulsion entravée sans être détruite, tendant par là même à envahir la conscience, à s’y traduire sans cesse en sentiment et à produire une obsession durable ;