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POUVOIR ENGENDRANT DEVOIR.

chever dans un amour de plus en plus voisin du véritable amour.

Ainsi ces deux facultés qu’on a seules consenti à nous laisser, — l’intelligence et la sensibilité, — font tout naturellement sortir d’elles-mêmes l’idée de la volonté aimante. Nous avons obtenu cette idée d’une manière qui semble détournée, mais qui n’en est pas moins naturelle : car, en défmitive, comment l’enfant apprend-il à aimer ? N’est-ce pas en voyant aimer ? Peut-on dire que, chez l’enfant, l’amour soit naturel et inné, au lieu d’être une œuvre d’éducation ? Les premiers mouvements de l’enfant n’expriment guère que le moi, les sensations et passions du moi : ce sont des cris de joie ou des cris de douleur ; plus tard, avec le sentiment de la personnalité, des cris de colère. Mais, en voyant autour de lui se manifester par les signes les plus apparents Tamour le plus tendre, en se sentant ou en se croyant aimé, l’enfant veut enfin mériter en quelque chose cet amour : il cherche à balbutier une réponse à tant d’appels réitérés. C’est à force de voir sourire que l’enfant sourit. Combien a été longue à se produire cette première manifestation de l’amour. On la croit naturelle encore, spontanée ; qui sait tout ce qu’il a fallu d’efforts accumulés, de persévérance, de volonté à l’enfant pour mettre au jour cette merveille du sourire, qui est déjà l’ébauche du désintéressement ? Suivez de l’œil la vie morale de l’enfant reflétée sur son visage : vous verrez peu à peu cette première ébauche se revêtir de mille nuances, de mille couleurs nouvelles ; mais combien lentement ! Nul tableau de Raphaël n’a coûté plus d’efforts. L’enfant est naturellement égoïste : tout pour lui, le moins possible pour les autres. Ce n’est qu’à force de recevoir qu’il finit par donner : l’amour, qui semble sa nature, est au contraire un élan par-dessus sa nature, un élargissement de sa personnalité. Dans ce sens, on peut dire, ce semble, avec la plus grande vérité, que l’amour est d’abord de la reconnaissance ; c’est le sentiment du retour en face du bienfait, et comme de la dignité en face de la « grâce ». Le premier acte de reconnaissance est, semble-t-il, un acte de foi : je crois au bienfait, je crois à la bonne intention du bienfaiteur. Des signes de Tamour, l’enfant conclut à la réalité de l’amour chez ses parents ; l’homme, en présence de ses semblables, fait la même induction. De même que l’idée de liberté nous détermine à agir comme si nous étions libres, l’idée de l’amour nous invite à agir comme si les