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L’ÉDUCATION MORALE.

La conscience individuelle reproduirait si exactement la conscience sociale que toute action capable de troubler celle-ci troublerait l’autre dans la même mesure ; toute ombre portée au debors viendrait se projeter sur nous : l’individu sentirait dans son cœur la société vivante tout entière.

En un mot, nous pensons l’espèce, nous pensons les conditions sous lesquelles la vie est possible dans l’espèce, nous concevons l’existence d’un certain type normal d’homme adapté à ces conditions, nous concevons même la vie de l’espèce entière comme adaptée au monde, et enfin les conditions sous lesquelles cette adaptation se maintient. D’autre part, notre intelligence individuelle n’étant autre cliose que l’espèce humaine et même le monde devenus en nous conscients, c’est l’espèce et le monde qui tendent à agir par nous. Dans le miroir de la pensée chaque rayon envoyé par les choses se transforme en un mouvement. On sait le perfectionnement récent apporté au pendule, par lequel il peut graver lui-même chacune de ses oscillations légères et insaisissables : un rayon de lumière le traverse à chaque battement ; ce rayon se transforme en une force, pousse un ressort ; le mouvement du pendule, sans avoir perdu de force par aucun frottement, vient alors se traduire aux yeux par d’autres mouvements, se fixer dans des signes visibles et durables. C’est le symbole de ce qui se passe dans l’être vivant et pensant, où les rayons envoyés par l’universalité des objets traversent la pensée pour s’mscrire dans les actions, et où chacune des oscillations de la vie individuelle laisse derrière elle un reflet de l’universel : la vie, en gravant dans le temps et dans l’espace sa propre histoire intérieure, y grave l’histoire du monde, qui se fait visible au travers.

Une fois conçu, le type de l’homme normal possible se réalise plus ou moins en nous. Au point de vue purement mécanique, nous avons vu que le possible n’est qu’une première adaptation à un milieu, qui permet, moyennant un certain nombre de modifications, de se réadapter à d’autres milieux peu différents. Au point de vue de la conscience, le possible est le sentiment d’une analogie dans les circonstances qui appelle des actes analogues ; c’est ainsi que l’homme intelligent conçoit la conduite qu’il peut tenir à l’égard d’autrui ex analogia avec sa propre conduite envers lui-même ; il juge qu’il peut