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POUVOIR DE LA CONSCIENCE.

de cette tension et de cette fatigue que nécessite toute résistance à la première impulsion, sont aussi ceux qui éprouveront le moins de remords, ou chez lesquels le remords sera le moins susceptible de produire ses effets correctifs et éducateurs. En somme, pour se sentir obligé, il faut se sentir capable de soutenir une lutte intime : c’est le sentiment d’une force qui est aussi une pensée, d’une logique vivante et d’un ordre intérieur. Toute idée qui arrive au seuil de la conscience n’y pénètre et ne s’y maintient que par une sorte de contrainte exercée sur les autres idées. La conscience même est ainsi le résultat d’une lutte ; elle correspond, comme l’ont montré les physiologistes, à un mouvement qui se maintient et se propage à travers les obstacles. Toute conscience est un choix spontané, une sélection naturelle, et c’est précisément ce que sera aussi l’idée morale qui aura réussi à primer un jour toutes les autres. De l’action qui va s’accamulant par l’habitude et devient réflexe, sort une nouvelle puissance d’agir ; de la puissance sortent à la fois la conscience et la moralité, la pensée du pouvoir et du devoir : toute idée enveloppe un devoir en germe. Tout être pensant et voulant a déjà en lui. par le fait même qu’il pense et veut, un premier élément de moralité qui se fixera et s’organisera par l’évolution et par l’éducation : il constitue un sujet moral.

Il en résulte que, dans l’éducation, la base est le développement de la volonté, par cela même la constitution du sujet de la moralité. Nous sommes trop portés à juger objectivement les actions des enfants, à les mesurer sur nos règles, sur nos préceptes, sur notre idéal propre. L’idéal enfantin ne peut pas, ne doit pas être si développé ; il faut donc considérer surtout la force de vouloir dont l’enfant fait preuve, l’empire sur soi, le pouvoir de résistance intérieure. Telle marque de volonté qui nous contrarie, nous choque, nous blesse, peut être en réalité la marque d’un progrès intérieur et subjectif. Il faut emmagasiner la force avant de savoir la déployer dans la direction convenable. La genèse de la moralité est avant tout la genèse du vouloir ; son éducation doit être le renforcement du vouloir : la volonté se meut elle-même en concevant sa propre puissance.