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L’ÉDUCATION MORALE.

dhiques ou chrétiens répétaient que, si un beau corps excitait en eux quelque désir malsain, il leur suffisait pour se guérir de se le représenter à l’état de cadavre, tel qu’il sera demain : voilciun exemple de l’étal de conscience dépressif associé à l’état impulsif. Un être est capable d’éducation et de moralité dans la proportion où il est capable de volonté, où fonctionnent chez lui, en se compliquant à riniini, ces associations qui amènent presque à la fois dans la conscience la vision de tous les effets possibles d’un acte. Si, avec M. Ribot, on définit la volonté la réaction du caractère individuel tout entier dans un cas donné, on arrivera à cette conclusion : un acte n’est vraiment volontaire que si, avec la tendance la plus forte qui l’a produite, coexistent des tendances plus faibles et plus sourdes qui, en d’autres circonstances, eussent pu produire un acte contraire. La pleine volonté, c’est-à-dire le déploiement total des énergies intérieures, suppose qu’à la représentation de l’acte même qu’on va accomplir s’associe la représentation affaiblie de l’acte contraire. Et ainsi, nous arrivons à cette conclusion : il n’y a pas d’acte pleinement volontaire ou, ce qui revient au même, pleinement conscient, qui ne soit accompagné du sentiment de la victoire de certaines tendances intérieures sur d’autres, conséquemment d’une lutte possible entre ces tendances, conséquemment enfin d’une lutte possible contre ces tendances.

La liberté consiste surtout dans la délibération. Le choix n’est libre qu’à condition d’avoir été délibéré ; le vrai principe de la liberté doit donc être cherché plus haut que la décision, dans cette période d’examen qui la précède et où s’exerce la pleine intelligence. Or, la délibération, loin d’être incompatible avec le déterminisme, ne pourrait pas se comprendre sans lui ; car une action délibérée est celle dont on peut entièrement rendre raison et qui se trouve ainsi entièrement déterminée. Il n’y a donc pas de liberté en dehors de la délibération, et d’autre part la délibération consiste simplement dans la détermination du motif le meilleur par voie scientifique. Être libre, c’est avoir délibéré ; avoir délibéré, c’est s’être soumis, avoir été déterminé par des motifs rationnels ou paraissant tels. Il semble donc que la délibération est le point où se confondent la liberté et le déterminisme. Pourquoi délibérons-nous ? pour être libres. Comment délibérons-nous ? Suivant une balance de motifs et de mobiles