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L’ÉDUCATION MORALE.

ses origines, au fond même de la vie. Le besoin du rite se manifeste de très bonne heure chez l’enfant : non seulement il imite et s’imite, répète et se répète lui-même, mais il exige une scrupuleuse exactitude dans ces répétitions. L’enfant est naturellement curieux, mais il n’aime pas à pousser la curiosité jusqu’au point où elle pourrait violemment contredire ce qu’il sait déjà ou croit savoir. Et il a raison dans une certaine mesure, il ne fait qu’obéir à un instinct puissant de conservation intellectuelle : son intelligence n’est pas assez souple pour défaire et refaire constamment les nœuds ou associations qu’elle établit entre ses idées. C’est donc par une sorte d’instinct de protection intellectuelle que les peuples primitifs tiennent tant à leurs coutumes et à leurs rites. De même tous les actes de la vie, les plus importants comme les plus insignifiants, sont classés dans la petite tête de l’enfant, définis rigoureusement d’après une formule unique et représentés sur le type du premier acte de ce genre qu’il a vu accomplir, sans qu’il distingue nettement la raison d’un acte et sa forme. Cette confusion de la raison et de la forme existe à un degré non moins frappant chez les sauvages et les peuples primitifs. Et c’est sur cette confusion même que s’appuie le caractère sacré des rites religieux[1].

Une fois incarnée dans l’être, comment va se manifester cette loi intérieure de l’habitude ? — Nous avons montré, dans notre Esquisse d’une morale, que le pouvoir des habitudes peut donner lieu soit à une impulsion momentanée, soit à une obsession durable.

La puissance accumulée par les habitudes, par les instincts, par les associations mécaniques, n’apparaît souvent au seuil de la conscience que pour se traduire précipitamment en actions. Dans ces cas, il y a impulsion soudaine et momentanée. L’impulsion qui ne rencontre aucun obstacle, pas même celui de la durée, n’est plus qu’une sorte de réflexe passant comme l’éclair à travers la conscience pour rentrer ensuite dans l’ombre. Toute impulsion qui reste ainsi isolée par la rapidité même de son effet ne peut susciter les phénomènes complexes qui constituent la vie morale. C’est une force qui ne donne lieu à une idée consciente que momentanément, et qui ne laisse pas de trace profonde dans l’esprit. L’ins-

  1. Voir notre Irréligion de l’avenir, p. 92.