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L’ÉDUCATION MORALE.

constitue une première formule fixe dans les échanges hésitants de la vie, un tracé élémentaire, mais déterminé, dans l’adaptation si complexe au milieu et dans l’éducation de l’être. Quand l’action réllexe est entravée, arrêtée, elle tend à produire non seulement la conscience, mais à la fois (on n’a pas assez remarqué cette simultanéité) la souffrance et la conscience. La conscience, à l’origine, n’a du être que la formule vague d’une souffrance dans une sorte de cri intérieur ; c’est la solidarité de tous les atomes vivants en présence de quelque danger, une sorte de résonance du péril dans l’être même. La douleur met en mouvement toute l’activité dont l’organisation dispose afin de repousser les causes de trouble. De même, quand la patrie est en danger, il est évident que chez tous ses membres il existe un déploiement d’activité vers un seul but beaucoup plus grand que quand il s’agit d’une fête nationale. L’organisation est plus solidaire dans la douleur que dans le plaisir. De là l’utilité de la conscience pour la conservation de l’individu, et de là aussi son extension croissante. La conscience totale n’est sans doute, à l’origine, qu’une propagation et une multiplication des diverses consciences cellulaires dans un frémissement d’alarme : ce n’est pas le regard tranquille sur soi que les psychologues sont portés à se figurer. Peu à peu, à la suite d’une série d’actions réflexes entravées, c’est-à-dire d’adaptations brisées, se forme le pouvoir de se réadapter constamment, de se ployer sans cesse au milieu. C’est cette faculté de réadaptation continue, cette habitude de se réhabituer constamment, qui est à la fois le principe de l’intelligence et de la volonté proprement dite, conséquemment le grand ressort de toute éducation. L’activité intellectuelle ou morale est une adaptation large pour ainsi dire et infiniment flexible, qui permet une foule de réadaptations de détail, de corrections de toute sorte. La puissance intellectuelle et volontaire, en d’autres termes, se ramène à une habitude d’agir dans une certaine direction générale, — habitude qui se transforme sans cesse suivant les transformations particulières du milieu mouvant où elle s’exerce.

Ces faits établis, quelles conséquences peut-on en déduire touchant la genèse de la moralité, et quelle part y a l’éducation sous toutes ses formes ? — Déjà, remarquons-le d’abord, dans la conscience même que l’habitude prend de soi, il existe quelque chose de moral ou au moins