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LA SUGGESTION COMME MODIFICATEUR DE L’HÉRÉDITÉ.

la nôtre par le sentiment même que nous avons de son prix.

Le principe de toute déséquilibration est peut-être moral et social. La plupart des esprits déséquilibrés manquent de sentiments altruistes ; l’éducation et la suggestion auraient pu, en développant chez eux ces sentiments, rétablir l’équilibre intérieur. L’un des traits caractéristiques du criminel, c’est l’absence totale du sentiment de la pitié ; or, il est inadmissible de supposer qu’une éducation appropriée ne puisse pas développer ce sentiment, même chez l’être le plus mal doué, à un degré plus ou moins rudimentaire peut-être, assez cependant pour modifier sa conduite. On peut même, au fond de toute folie, découvrir une certaine part à l’insociabilité, car la folie a pour symptôme constant un grossissement exagéré et une préoccupation exclusive du moi. De la vanité extrême à la folie il n’y a souvent qu’un degré ; or la vanité, l’orgueil, le premier des péchés capitaux, est une forme d’égoïsme insociable ; celui chez qui les sentiments altruistes sont suffisamment développés apprécie à leur juste valeur les mérites d’autrui, et trouve ainsi un contrepoids au sentiment de ses mérites personnels. Par la suggestion morale et sociale, on peut même empêcher la formation de l’idée fixe chez les monomanes du crime et de la folie, — idée fixe dont les éléments se rassemblent le plus souvent dès le jeune âge. Savoir moraliser les gens, ce serait donc pouvoir introduire l’équilibre non seulement dans leur conduite, mais encore dans leur intelligence et jusqu’au plus profond d’eux-mêmes ; et cet équilibre est en même temps harmonie avec autrui, sociabilité.


En somme, les suggestions, dont nos psycho-physiologistes observent aujourd’hui le mécanisme, ne sont que des cas isolés et curieux de l’action du milieu sur l’individu, des perceptions sur l’être qui perçoit. Ces suggestions peuvent, nous l’avons vu, déséquilibrer l’organisme, mais elles peuvent aussi, quoique plus difficilement, y ramener l’équilibre. L’influence du milieu social est une puissance désormais trop manifeste pour que les partisans les plus exclusifs de l’hérédité, du crime et du vice héréditaires, de la déchéance invincible de certaines races, ne doivent pas compter avec cette influence. Les penchants héréditaires ne sont autre chose que des habitudes acquises, c’est-à-dire de l’action accumulée ; c’est l’action de nos ancêtres qui nous pousse encore aujourd’hui à agir