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L’ÉDUCATION MORALE.

La mauvaise humeur est un état d’esprit très complexe, qu’il importe d’apprendre à vaincre de bonne heure. Il est relativement aisé de réprimer tel mouvement de colère, d’impatience, de jalousie, mais tout cela peut se fondre en un sentiment général de mauvaise humeur, qui, ensuite, prendra toutes les formes, se traduira de cent façons : ce sera une atmosphère morale enveloppant l’esprit tout entier, et dont il sera très difficile de sortir. L’enfant contrarié maladroitement et à tout propos prend en quelque sorte l’habitude de la tristesse ; il s’accoutume à se replier sur lui-même, le cœur gros de ses petits chagrins, à les ressasser en son esprit ; et il est à craindre que, plus tard, le découragement n’ait sur lui plus de prise que sur un autre. La mauvaise humeur contient en germe toutes les peines des déséquilibrés qu’exprime avec acuité notre littérature moderne. Aussi est-il bon d’accoutumer l’enfant même à la gaieté, à la bonne humeur solide de celui qui n’a rien à se reprocher et qui ne reproche rien aux autres, qui « n’a rien sur le cœur », suivant la parole populaire. Pour l’enfant élevé ainsi avec l’affection indulgente et souriante, il se fait un fond de gaieté qui le suit dans la vie, qu’il retrouve partout quand même. L’enfant heureux est plus beau, plus aimant et plus aimable, plus spontané, plus ouvert, plus sincère. La vue de son sourire illumine et donne une joie profonde, sereine, comme une vérité qu’on découvre.


Puisque la société est une suggestion réciproque, le but qu’on doit poursuivre dans la société, c’est d’agrandir ses sentiments, non de les rapetisser. Ce second résultat est malheureusement ce qui se produit toutes les fois qu’on se trouve en contact prolongé avec des hommes médiocres. La société des hommes moyens est précieuse pour tous ceux dont le niveau intellectuel, et surtout moral, est au-dessous de la moyenne ; mais elle n’est pas sans inconvénient pour tous ceux qui sont plutôt au-dessus. Aussi le principe dominant de l’éducation doit-il être de choisir pour compagnon des hommes qui vous soient supérieurs moralement. On développe alors, dans le bon sens, ce sentiment de solidarité qui est si nécessaire à l’homme. Avec une certaine délicatesse morale, on peut arriver à se sentir solidaire même du mérite ou du démérite des autres : « La bonté d’autrui, disait Joubert, me fait autant de plaisir que la mienne ». Il faut que la bonté d’autrui devienne