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LA SUGGESTION COMME MODIFICATEUR DE L’HÉRÉDITÉ.

distraire et de faire avorter ainsi le méfait. Enfin il faut ménager ses réprimandes comme le soldat doit ménager ses ressources en temps de guerre. Réprimande ou punition ne peuvent jamais produire leurs effets moraux sur l’instant même ; il faut leur laisser le temps d’agir, de prendre leur place parmi les mobiles habituels de l’enfant. Ce n’est pas par lui-même que le châtiment agit, c’est en tant que transfiguré par le souvenir ; le temps est un facteur essentiel dans la formation de la moralité enfantine, et l’éducateur, pas plus que la nature, ne doit procéder par révolution, mais bien par évolution régulière.

Le but, sans doute, n’est pas de faire de petits raisonneurs, et nous avons même vu qu’il faut parfois se défier du raisonnement et de l’esprit d’analyse ; mais il faut faire comprendre aux enfants que les ordres donnés par leurs parents sont raisonnables et ont toujours une explication, même quand cette explication dépasse la portée d’un jeune esprit. À l’affection et au respect naturels de l’enfant pour ses parents doit s’ajouter ainsi un perpétuel vote de confiance ; ils doivent savoir, une fois pour toutes, que leurs parents ne veulent que leur bien, et, d’une manière générale, le bien. Si donc l’art de l’éducation consiste, avant tout, à donner de bonnes habitudes, il consiste aussi, en second lieu, à fortifier ces habitudes par la conscience et la croyance qu’elles sont rationnelles[1].


Toute profession acceptée, tout état social pourrait se

  1. Aussi, de toutes les fautes qu’on peut commettre dans l’éducation, la pire est l’inconséquence ; de même que, dans une société, les crimes se multiplient quand il n’y a point de justice certaine, de même, dans la famille, un nombre immense de transgressions résulte d’une application hésitante des règles et des châtiments. Une mère faible qui menace sans cesse et qui agit rarement, dit Spencer, qui « fait des lois précipitamment et qui s’en repent ensuite », qui montre pour la même faute tantôt de la douceur et tantôt de la sévérité, selon son humeur passagère, prépare mille peines à elle-même et à son enfant. Elle se rend méprisable à ses yeux. « Mieux vaudrait une forme barbare de gouvernement appliquée avec suite, qu’une forme plus humaine appliquée avec tant d’indécision et de légèreté. » Si les variations secrètes d’un grand nombre de pères étaient mises au jour, dit Jean Paul, elles composeraient un ensemble dans le genre de celui-ci : à la première heure : « C’est la morale pure qui doit être enseignée à l’enfant ; » à la deuxième heure : « La morale de l’utilité ; » à la troisième heure : « Ne voyez-vous pas que votre père fait ainsi ? » à la quatrième heure : « Vous êtes petit, et cela ne convient qu’aux grandes personnes ; »… à la septième heure : « Supportez l’injustice et ayez patience ; » à la huitième heure : « Mais défendez-vous bravement si l’on vous attaque ; » à la neuvième heure : « Cher enfant, ne faites pas de bruit ; » à la dixième