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L’ÉDUCATION MORALE.

l’avenir, il s’ensuit qu’il ne sait point rapprocher l’effet à la cause. Il faut qu’un châtiment corporel, infligé à la suite d’une action qu’il sait mauvaise, lui paraisse la conséquence logique de cette action, conséquence rapprochée seulement par la volonté des parents. Les petites corrections infligées aux enfants ne doivent donc jamais l’être à tort et à travers ; elles constituent une première expérience de la sanction sociale, un premier châtiment après verdict. Nous ne pourrions qu’approuver, au point de vue pédagogique, cet électeur influent du centre de la France qui, lorsqu’il avait à châtier un peu rudement ses enfants, exigeait que le fouet leur fût donné par les propres mains du député du département (l’histoire est authentique). Par malheur, tout électeur n’a pas son mandataire sous la main. Il n’en est pas moins vrai que le moindre « fouet » donné à un enfant dans les plus futiles circonstances doit avoir le caractère grave de la justice, jamais celui de la passion. L’enfant étant un être routinier par excellence, c’est déjà une peine pour lui que de lui imposer brusquement quelque chose d’anormal ; et d’autre part tout châtiment, pour agir, doit être anormal, exceptionnel, réservé pour les occasions de désobéissance ouverte. C’est ce caractère d’exception qui rend essentiellement le châtiment redoutable, et qui peut en faire un moyen d’action puissant sur l’esprit de l’enfant. Rendez les réprimandes et le fouet quotidiens, l’enfant s’y habituera comme aux dragées, et cela aux dépens de son caractère.

Il faut de plus donner toujours une couleur morale au châtiment. En tant qu’il provoque la crainte, le châtiment amène l’hypocrisie ; aussi, encore une fois, n’est-ce pas la crainte seule qu’il faut développer chez l’enfant, mais le regret moral d’avoir déplu à ses parents. Le châtiment ne doit être qu’un symbole ; la peine morale doit être fondue d’abord avec la peine physique, puis substituée à elle. Il ne faut point non plus faire deux réprimandes coup sur coup, imposer deux punitions à trop courte distance, soit pour la même peccadille, soit pour plusieurs fautes différentes : on use ainsi l’effet moral de la réprimande et on produit chez l’enfant l’habitude d’être puni, ce qui est déplorable. Lorsque, peu d’instants après avoir été puni pour une petite faute, l’enfant recommence à « pécher », mieux vaut fermer les yeux, ou changer brusquement de ton. Surtout lorsqu’on devine une intention mauvaise chez l’enfant, il importe de le