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LA SUGGESTION COMME MODIFICATEUR DE L’HÉRÉDITÉ.

et respecte, parce qu’il aime surtout : car le respect n’est au fond que de l’affection. Mais le raisonnement ne doit supprimer les deux derniers éléments — l’habitude de la soumission et la crainte — qu’au moment où l’affection est assez forte pour les compenser. L’analyse appliquée à la soumission par habitude a pour résultat de la détruire en la raisonnant. Pour le sentiment de crainte, l’analyse est plus fâcheuse encore : la crainte n’est morale qu’à la condition d’être spontanée, d’être produite plutôt par le respect que par la peur. Si l’enfant en vient à raisonner, il mettra dans la balance, d’une part, la satisfaction d’agir à sa guise, de l’autre, le châtiment, et alors, ou il cédera par lâcheté ou il entrera dans un esprit de rébellion. L’enfant n’est pas comme le criminel, que la société frappe sans se préoccuper de l’impression que les châtiments produiront sur son esprit. Il est donc très important d’empêcher que cet esprit d’analyse ne vienne trop tôt, chez l’enfant, désassocier les éléments qui constituent pour lui le respect de ses parents[1].

Le châtiment corporel, chez les très jeunes enfants, peut entrer comme élément constitutif dans le sentiment d’autorité morale, mais cet élément ne doit pas avoir trop d’importance ni empiéter sur les autres, sans quoi il altère le sentiment d’autorité morale pour le remplacer par une crainte lâche ou un esprit de révolte. Pour décider en connaissance de cause si les corrections corporelles appliquées aux petits enfants peuvent être utiles, il faut poser en principe que les parents ne montreront aucune colère brutale envers l’enfant : sans quoi ce dernier, les prenant en exemple, se sentira autorisé à se montrer à son tour colérique et brutal. Les parents peuvent s’indigner contre une action méchante ou injuste dans la mesure où un enfant peut agir méchamment ou injustement, mais ils ne doivent montrer aucune violence. La justification des corrections corporelles, pendant le premier âge, c’est que. dans la vie, l’enfant subira les conséquences brutales de ses actions ; mais, comme ces conséquences ne suivent pas toujours l’accomplissement immédiat de l’action et que l’enfant a la vue trop courte pour prévoir

  1. Conclusion pratique ; le temps de la réflexion ne doit jamais être laissé à l’enfant : il doit céder d’un mouvement spontané, emporté par le repentir de sa faute. Il est important qu’il comprenne tout de suite que le châtiment qui lui est infligé est juste, qu’il l’a mérité ; en un mot il faut qu’il soit surtout puni moralement par le regret de la faute commise.