une foule qui profère de vagues menaces, s’efforce de lui taire face en s’écriant tout à coup : — Vous voulez donc me pendre ! — il y a grande chance pour qu’on lui applique aussitôt la formule qu’il vient de trouver. Il en est ainsi pour la multitude des instincts plus ou moins mauvais qui s’éveillent nécessairement dans le cœur d’un enfant à tel ou tel moment de son existence ; il ne faut pas donner à l’enfant la formule de ses instincts, ou, par cela même, on les fortifie et on les pousse à passer dans les actes. Quelquefois même on les crée. De là cette règle importante que nous proposons aux éducateurs : — Autant il est utile de rendre conscients d’eux-mêmes les bons penchants, autant il est dangereux de rendre conscients les mauvais lorsqu’ils ne le sont pas encore.
Un sentiment est chose fort complexe, si complexe que les parents ne doivent pas se figurer pouvoir le faire naître par un reproche ; constater, par exemple, l’indifférence de l’enfant à leur égard, n’est point propre à faire naître l’affection chez l’enfant ; au contraire, on peut craindre que la constatation de son indifférence, en l’en persuadant lui-même, ne la produise, ou du moins ne l’augmente. Un sentiment n’est point aussi grossièrement imputable qu’une action. On peut reprocher à un enfant d’avoir fait telle ou telle action, d’en avoir omis telle ou telle autre ; mais c’est encore, selon nous une règle de l’éducation que, en matière de sentiment, il faut suggérer plutôt que reprocher.
La suggestion peut affaiblir ou augmenter momentanément l’intelligence même ; on peut suggérer à quelqu’un qu’il est un sot, qu’il est incapable de comprendre telle ou telle chose, qu’il ne pourra pas faire telle ou telle autre chose ; et on développe par là une inintelligence, une impuissance proportionnelles. L’éducateur doit au contraire toujours suivre cette règle : persuader à l’enfant qu’il pourra comprendre et qu’il pourra faire. « L’homme est ainsi fait, avait déjà dit Pascal, qu’à force de lui dire qu’il est un sot, il le croit ; et à force de se le dire à soi-même, on se le fait croire. Car l’homme fait lui seul une conversation intérieure, qu’il importe de bien régler ; Corrumpunt mores bonos colloquia prava… »
On doit accepter ce qu’un enfant fait ou dit de bonne volonté. Sa confiance en tous ceux qui l’entourent doit étouffer la timidité innée en lui. Quand on songe à la somme de courage nécessaire à l’enfant, lui qui se sent si neuf et si maladroit en toute chose, pour s’exprimer ou