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SUGGESTION PSYCHOLOGIQUE, MORALE ET SOCIALE.

telle chose… » ne produit qu’une suggestion nulle ou très faible. Le si s’introduit alors dans l’esprit même du sujet et provoque des divergences à la direction unique dans laquelle on voulait lancer la volonté. La puissance que possède le sujet d’affaiblir l’image suggérée en doutant explique comment l’auto-suggestion réussit là où la suggestion simple vient d’échouer. On croit toujours plus fortement ce qu’on s’affirme à soi-même que ce que les autres vous affirment. — Si c’est le sujet lui-même, dit M. Binet, qui arrive par raisonnement à se suggérer une idée, il l’adoptera sans résistance, elle sera plus intense et partant plus efficace. Citons encore une remarquable expérience de M. Binet ; on sait que, dans la catalepsie, une attitude expressive donnée aux membres se réfléchit aussitôt sur la physionomie : c’est la suggestion musculaire. M. Binet se demanda si une suggestion morale donnée préalablement ne pouvait pas modifier et même suspendre les suggestions musculaires dans la catalepsie. G… étant en somnambulisme, il l’avertit donc qu’il va la mettre en catalepsie et que, dans cet état, sa physionomie restera impassible, quels que soient les mouvements communiqués à ses mains. La malade, au lieu de se soumettre à l’injonction, discute, fait observer qu’elle ne pourra pas obéir parce qu’elle perd conscience pendant la catalepsie. Malgré les doutes assez bien raisonnes du sujet, on passe à l’expérience, mais les suggestions musculaires s’exécutent comme d’habitude et l’échec est complet. M. Binet remet alors la malade dans l’état de somnambulisme et celle-ci lui demande spontanément si la suggestion a réussi. M. Binet répond avec un parfait naturel qu’elle a eu plein succès et, la malade étant étonnée, mais convaincue, il la remet sur-le-champ en catalepsie ; puis il refait l’expérience. Cette fois elle réussit tout à fait : la suggestion mentale préalable suspend entièrement les suggestions musculaires ; si on approche les mains du coin de la bouche dans l’acte d’envoyer un baiser, la ligne de la bouche reste immobile ; si on ferme les poings sous les yeux, le sourcil ne se fronce pas. Il fallut, pour que la suggestion musculaire se réveillât peu à peu, laisser la main pendant cinq minutes dans la même position (celle du baiser lancé) ; au bout de ce temps, en imprimant à la main un mouvement de va-et-vient, M. Binet parvint à faire sourire la bouche.

De même qu’une suggestion positive, c’est-à-dire, l’idée qu’on verra ou qu’on fera une chose, se ramène à une affir-