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L’ÉDUCATION MORALE.

ainsi jusqu’à ce qu’ils aient rencontré un objet qui éveille violemment leur désir ; alors ils ne marchandent pas leur tête… Quand Pétrof désirait quelque chose, il fallait que cela se fît. Un individu comme Pétrof assassinera un homme pour vingt-cinq kopecks, uniquement pour avoir de quoi boire un demi-litre ; en toute autre occasion, il dédaignera des centaines de mille roubles[1]. »

L’exemple doit avoir par lui-même une force, qu’il emprunte à la solidarité des consciences. Chez les névropathes, la seule vue d’un mouvement rythmique provoque l’exécution de ce mouvement : c’est un phénomène de suggestion psycho-motrice dont MM. Richet et Féré ont donné des exemples. De là les épidémies spasmodiques. Si nous prions un névropathe de regarder avec attention les mouvements de flexion que nous faisons avec notre main, au bout de quelques minutes il déclare qu’il a la sensation que le même mouvement se fait dans sa propre main, bien qu’elle soit complètement immobile. Cette immobilité ne dure pas en effet, et bientôt sa main se met à exécuter irrésistiblement des mouvements rythmiques de flexion. Toute perception se ramène plus ou moins à une imitation, à la création en nous d’un état correspondant à celui que nous percevons chez autrui ; toute perception est une sorte de suggestion qui commence et qui, chez certains individus, n’étant pas neutralisée par d’autres, s’achève en actions. L’élément suggestif inhérent à toute perception est d’autant plus fort, nous l’avons vu, que la perception est celle d’un acte ou d’un état voisin de l’acte[2]. Enfin la suggestion devient irrésistible lorsque la perception, au lieu de se produire au milieu d’états de conscience complexes qui la limitent, occupe toute la conscience et constitue à un moment donné le tout intérieur. C’est ce qu’on a appelé l’état monoïdéique, propre aux somnambules, à tous ceux chez lesquels l’équilibre mental est rendu plus ou moins instable par une sorte d’abstraction qui supprime dans l’esprit un côté de la réalité.

Le même névropathe qui tend à reproduire machinalement un mouvement musculaire exécuté devant lui, tendra également à reproduire un état de la sensibilité ou de la volonté qu’il perçoit chez un autre individu, et qui lui est révélé soit directement par l’expression du visage,

  1. Cité par M. Garofalo, Revue philosophique de mars 1887, p. 236.
  2. C’est alors surtout que se manifeste ce qui a été appelé l’idée-force.