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SUGGESTION PSYCHOLOGIQUE, MORALE ET SOCIALE.

gestion normale, bien organisée et bien réglée, peut évidemment ou favoriser, ou réprimer les effets de l’hérédité. Étudions-la donc dans son origine et dans ses diverses formes.

On peut, avons-nous dit, considérer comme prouvé aujourd’hui que, si la suggestion mentale existe à un degré exceptionnel chez quelques sujets particulièrement bien doués, elle doit, en vertu de l’analogie de constitution dans la race humaine, exister aussi à un degré imperceptible chez tout le monde ; comment donc n’est-elle pas plus facile à constater ? C’est que 1o elle est très faible chez la plupart des hommes, ne produit qu’un effet insaisissable à tel ou tel moment, dans tel ou tel cas isolé, tout en pouvant fort bien avoir une influence massive considérable ; 2o les suggestions mentales doivent, chez les sujets normaux, se croiser plus ou moins, leur venir à la fois des individus les plus divers. Nous ne sommes pas, à l’état normal, sous la puissance d’un magnétiseur déterminé, d’une seule personne au monde faisant de nous sa chose. Mais il ne s’ensuit pas que nous ne soyons point accessibles à une infinité de petites suggestions, tantôt se contrariant, tantôt s’accumulant et produisant un effet moyen très sensible ; ce sont alors des suggestions venues, non pas d’un individu isolé, mais de la société tout entière, de tout le milieu qui nous enveloppe : ce sont, à proprement parler, des suggestions sociales.

Rien ne se passe donc dans le sommeil provoqué qui ne puisse se produire, à un degré plus ou moins rudimentaire, chez beaucoup de gens à l’état de veille ; nous sommes tous susceptibles de suggestions, et même la vie sociale n’est pour ainsi dire qu’une balance de suggestions réciproques. Mais la possibilité de la résistance personnelle à la suggestion varie considérablement suivant les personnes. Il en est qui sont presque incapables de résister, dont la personnalité ne compte en quelque sorte pour rien dans la somme des motifs qui déterminent l’action. Elles sont frappées d’une sorte de paralysie morale. Dostoiewsky, ce remarquable observateur, mentionne entre autres traits chez les criminels l’impossibilité de réprimer un désir : « Le raisonnement n’a de pouvoir sur ces gens qu’autant qu’ils ne veulent rien. Quand ils désirent quelque chose, il n’existe pas d’obstacles à leur volonté… Ces gens-là naissent avec une idée qui, toute leur vie, les roule inconsciemment à droite et à gauche ; ils errent